Alors me direz-vous, les temps sont durs pour les engagés. L’économie va mal, alors détournons tous et toutes le regard de ce qui peut la freiner. Préférons allouer notre temps à débattre sur la nomenclature de l’alimentation végétale, à promouvoir l’IA avec une frénésie presque fanatique et à réanimer le secteur de la tech tant bien que mal. Le numérique responsable n’est plus tendance. Show must go on.

Les acteurs et actrices du numérique responsable (NR) subissent une baisse de régime. Soit. Néanmoins, je vois autour de moi un phénomène qui me titille beaucoup : la déconnexion. En réalité, même revêtue de mes biais liés à la bulle de pensée NR dans laquelle je suis constamment, j’entends de plus en plus de gens prôner la déconnexion, ou la simplification des usages numériques. Cette volonté est notamment émise par des individus ne s’incluant ou ne se définissant pas dans cet écosystème dit “Numérique Responsable”. Et c’est là que l’inertie commerciale du NR et l’improbable montée en flèche de la déconnexion se sont percutées dans mes pensées : et si la dénumérisation, c’était cool ?

Car oui, dans les rues, les clubs, les bars, les restaurants, au sein de la communication de marques et d’actions individuelles, on sent une brise de changement que je souhaite partager.

Le old school numérique, la nouvelle hype ?

Je ne suis ni anthropologue ni sociologue, vous ne trouverez donc pas dans ces lignes les causes limpides de ces mouvements. Néanmoins, je me dis que l’imaginaire collectif est peut-être en train de changer, bousculé par une appétence pour les tendances, et une de ses tendances, c’est le vintage.

Des services qui font peau rétro

On dit que la mode est cyclique, et si les tendances numériques le devenaient aussi ?

Il n’est pas nouveau de voir lorsque l’on surfe sur le web, des sites faisant hommage aux balbutiements d’Internet. Les designers raffolent mixer old school et new school dans les plateformes. Cependant, cet amour de la tech “à l’ancienne” n’est pas directement synonyme de low-tech ou d’une quelconque sobriété de conception. Néanmoins on sent une volonté de retour en arrière, qui est sûrement une brèche à ouvrir pour faire émerger des principes de sobriété. Il nous suffit d’aller sur la plateforme lowww.directory, référençant une centaine de sites web ayant tenté une approche de conception plus sobre que la moyenne, pour admirer les styles rétro-punk et geek de certains sites. C’est le cas de Things, Deuxfleurs ou encore I is for Institute.

Les artefacts de la nostalgie numérique

Vous pensiez assister à la fin des écouteurs filaires ? Rembarrez vos écouteurs sans fil, ces compagnons de route ont encore de belles années devant eux. Et ce n’est pas moi qui le proclame, mais la messe de la mode mondiale : la fashion week de Paris. Selon un article de The Stylist, la mise en avant des écouteurs filaires et autres reliques technologiques serait “une critique poétique de notre société de consommation où l’abondance mène souvent à l’oubli.” La presse mondiale n’avait même pas attendu cet événement pour déclarer bel et bien vivants nos bons vieux écouteurs.

Au-delà d’être un pseudo artefact d’un refus d’obtempérer à la supra-high-tech, les écouteurs filaires sont aussi, tout simplement, plus accessibles que leurs concurrents sans fil. Et oui, élément central, pourtant bougrement oublié dans la numérisation, le prix de nos équipements et accessoires informatiques n’est pas anodin. Il est même l’une des causes de la fracture numérique. Certaines personnes n’ayant pas les moyens de s’acheter des équipements derniers-cris se rabattent donc sur des anciens appareils, devenant de plus en plus vite obsolètes, de par le marketing lié, la fin de support des systèmes d’exploitations, la complexité et lourdeur des logiciels, etc.

Certains et certaines vont encore plus loin dans la nostalgie, en troquant leur smartphone pour un dumbphone. C’est le cas de Léa Mosesso qui explique son cheminement dans le podcast Techologie. Alors que cette décision peut venir d’une conscience écologique, de nombreux adeptes évoquent surtout la volonté de réduire drastiquement leur temps d’écran. Bref, la nouvelle génération semble quasiment en première ligne sur cette transition, comme l’expose aussi cet article de Presse Citron. À chaque mouvement son étendard, et les dumbphones semblent être ceux de la digital detox.

À cette nouvelle hype de l’ancien, on entend le doux du vent du “c’était mieux avant”.

“Forget your phone and dance”

Cela fait quelque temps que je me prends à collecter des pieds-de-nez à la numérisation massive. En France ou à l’étranger, il m’est de plus en plus fréquent d’apercevoir des quasi-interdictions au numérique dans certains lieux. En voici plusieurs que j’ai collectées en chemin :

  • “Forget your phone & dance” — Oublie ton téléphone et danse.
  • “We don’t have wifi for visitors! Talk to each to other, love or drinking.” — Nous n’avons pas de wifi pour les visiteurs ! Parlez entre vous, aimez et buvez.”
  • “No tik tok” — Tik Tok interdit
  • Dans le cadre de l’ouverture d’un restaurant type cuisine de grands-mères à Paris : “On voulait mettre un QR code géant pour les premières résa’… Mais c’est pas sa génération à Mamine…
affiches parlant de déconnexion

Les capitales voient depuis plusieurs années, apparaître l’expansion des cafés “instagrammables”, autrement dit, des cafés si beaux que l’on vient davantage pour poster une photo de notre venue sur les réseaux sociaux, plutôt que pour la qualité des boissons chaudes. Ces espaces sont devenus le repère des télétravailleurs, faisant ainsi proliférer les écrans, et délitant toute forme de relation sociale IRL, in real life. C’est pourquoi de plus en plus de cafés à Paris interdisent les ordinateurs durant les weekends, pour favoriser la déconnexion et se reconnecter au monde.

Dans les clubs technos, il n’est plus rare de se voir interdire l’utilisation de son téléphone et de la vidéo. Dépôt des téléphones obligatoires à l’entrée ou stickers sur la caméra, de quoi dissuader les clubbers de publier leur soirée sur leurs réseaux sociaux. C’est précisément le caractère inconnu et mystérieux qui a nourri la célébrité de certains clubs, comme le fameux Berghain à Berlin.

La déconnexion pour nourrir son image de marque

Cette prise de position, parfois naturelle, parfois stratégique et assumée, peut tout à fait nourrir une image de marque. Cela a été le cas pour Lush, entreprise britannique de produits cosmétiques connue, qui a décidé de stopper toute communication sur l’ensemble de ses réseaux sociaux nationaux et internationaux en 2021. Depuis, si l’on parcourt leurs comptes, des messages de sensibilisation à l’hyperconnexion sont affichés.

“Lors du Black Friday 2021, à la suite de la publication des « Facebook Files » (qui révélaient à quel point Meta était au courant des préjudices réels causés par ses plateformes et ne faisait rien pour y remédier), Lush s’est retirée d’Instagram, de Facebook, de TikTok et de Snapchat jusqu’à ce que ces plateformes prennent des mesures pour offrir un environnement plus sûr à leurs utilisateurs.

Deux ans plus tard, Meta a-t-il fait le ménage ? Malheureusement, mais peut-être pas de manière surprenante, non. […] C’est pourquoi nous faisons campagne pour un changement législatif qui redonne le contrôle aux citoyens. Nous nous sommes associés à People vs Big Tech, un mouvement décentralisé qui remet en question le pouvoir et les abus des géants de la technologie.”

Vers de nouveaux récits

Il est clair que, pour moi, ces petits signes sont les premières briques qui permettent déjà de construire des nouveaux récits autour du numérique responsable. En effet, ces actions font davantage rapport à la santé mentale qu’aux impacts environnementaux, mais prenons tout de même cette barque pour arriver au même point : moins de numérisation, moins de technologie.

A propos de l'auteur

Alizée Colin

Fondatrice & rédactrice

UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.

Voir tous les articles