Fin novembre 2023, la 3ème édition du GreenTech Forum prenait place à Paris. Cette année, plus de 2 000 participants se sont pressés pour assister à l’événement autour de 80 exposants et plus de 100 intervenants. L’événement s’est articulé sous 7 grandes thématiques : la réglementation, le déploiement des stratégies en entreprise, l’articulation entre innovation et sobriété, la formation, l’opérationnel et le technique, l’évaluation ou encore la construction de nouveaux imaginaires liés au numérique.

Les interventions font remonter à la surface l’ensemble des facettes du mouvement : visions, travaux en cours, écueils, questionnements, nécessités pour les organisations, etc. Retour sur deux jours dédiés aux impacts environnementaux liés à la numérisation avec les professionnels du secteur.

La plénière, ou le numérique responsable vu par les décideurs

Durant l’ouverture de cette édition du GreenTech Forum, les décideurs et organisateurs défilent, en exposant la vision qu’ils et elles ont de ce qu’est et de ce que devrait être le « numérique responsable ». Cette année, ce lancement s’est fait sous le signe de la fierté. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique expose une rétrospective des actions nationales menées pour faire avancer le sujet. Création du Haut Comité pour un Numérique Écoresponsable, intégration pleine du numérique responsable au sein de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), visant la neutralité carbone à l’horizon 2050, programmes Alt-impact et Econum, etc.

Les acteurs de la plénière ont aussi souligné l’engagement des acteurs français, les travaux de recherche continuels et le développement de la dynamique à l’échelle européenne. De quoi prendre conscience du chemin parcouru. Un bel écueil reste néanmoins collé à ces discours : l’idéologie de la croissance verte. On parle de déploiement, de soutien à l’économie, de développement.

La plénière, c’est aussi le moment pour mettre les mots sur la vision qu’ont les acteurs pour la suite. Et celle-ci est limpide. David Marchal, directeur adjoint de l’expertise et des programmes à l’Ademe, rappelle : l’objectif est de « faire de la France la championne du numérique responsable ». Cette vision est-elle nourrie par une sincère volonté de réduction des impacts ou par une prétention nationale ? A-t-elle le pouvoir d’être le moteur d’une transition ou d’être la source d’un numérique responsable désaxé ? Le temps nous donnera la réponse.

Repenser le futur du numérique au travers de l’imaginaire qu’on lui assimile

Une nouvelle thématique a fait son entrée au sein de l’événement, la construction de nouveaux imaginaires liés au numérique. Deux tables rondes se sont emparées du sujet. La première, intitulée « Le numérique & nous : comprendre et maîtriser les impacts du numérique sur notre imaginaire, nos perceptions et notre relation à l’environnement » a navigué entre constats et enjeux.
Le constat est sans appel : la promesse libératrice du progrès technique a toujours été dans l’imaginaire collectif lié à la technologie. À chaque innovation, nous collons cette idée qu’elle viendra nous « libérer ». Celle-ci doit nous faciliter la vie, être performante, et de ce fait, nous aider dans les missions de l’humanité : améliorer son alimentation, prévenir les catastrophes, favoriser l’emploi, assainir les chaînes de production, répondre au changement climatique, et j’en passe.

En face, l’imaginaire collectif actuel que nous accolons à la sobriété reste la pauvreté, le retour en arrière, l’inconfort, le catastrophisme, etc. Pourtant, le numérique est-il réellement libérateur ? Rémy Marrone, journaliste et consultant en numérique responsable, rétorque : « Nous ne sommes pas plus libéré qu’avant, quand on avait moins de numérique. […] Nous sommes dans l’accumulation d’un numérique optimisé. On peut se poser la question de cette promesse libératrice avec l’IA. »

Alors, il est nécessaire, selon Audrey HUVET, Directrice Centre de Recherche Contributive chez Devoteam Revolve, de « penser des nouveaux récits, qui permettront de sortir de cette peur qui nous paralyse. »

Trois enjeux et leviers ont été abordés. Premièrement, l’enjeu de la matérialisation du numérique afin de visualiser ses impacts. Plus globalement, au travers de cette matérialisation, c’est aussi la question de la maîtrise du numérique que l’on pose. « Plus on va maîtriser la tech plus on va être capable de s’en séparer » selon Rémy Marrone. Deuxièmement, la nécessité de sortir des débats d’experts et de décloisonner le sujet du numérique responsable a été soulevée. Côme GIRSCHIG, conférencier sur les questions écologiques rappel que « parler d’imaginaire dans le vent et entre experts n’a pas beaucoup d’impact. » Troisièmement, ce sont les récits positifs d’un monde sobre et visibles par tous qui ouvrent la voie. Il a été notamment été mentionné la campagne publicitaire de l’Ademe sur les « dévendeurs », au cœur des discussions sur la sobriété depuis plusieurs semaines.

Repenser l’imaginaire collectif en entreprise

Faire évoluer l’imaginaire lié au secteur de la tech, c’est déjà en cours. Dans une deuxième table ronde, les acteurs évoquent la construction, en cours, d’un futur numérique plus souhaitable et durable. Agnès Crepet, Head of Software Longevity & IT chez Fairphone, résume l’engagement de l’entreprise : « changer l’industrie au travers d’un smartphone. » Et ce changement prend forme en renversant les méthodologies actuelles de fabrication de matériel informatique. Chez Fairphone, pas de mécaniques néo-colonialistes, c’est l’encapacitation des personnes prenant part dans la chaîne de fabrication qui prône.

Si on résume la réflexion, les entreprises ont donc la possibilité de reconstruire le futur de la tech, et donc, de l’imaginaire lié, en déconstruisant une partie de ce qui l’a fait. Les acteurs et actrices du secteur ont aussi intérêt à définir (ou re-définir) ce qu’est un numérique d’intérêt général. Christophe Pham, fondateur d’Infogreen Factory mentionne notamment le référentiel pour un numérique d’intérêt général (NIG) publié récemment.

La législation comme levier d’une stratégie de décarbonation du secteur numérique

La réglementation a été au cœur des discussions durant ces deux jours. Des normes et réglementations à l’échelle française, européenne voire internationale sont posées et continuent d’évoluer. L’enjeu pour les organismes reste de comprendre leur articulation, leur priorité et les moyens de mise en conformité.

La France est pionnière quant à la réglementation pour une numérisation plus sobre. Néanmoins, des problématiques ressortent. Catherine Martial, responsable conformité environnementale à l’AFNUM (Alliance Française des Industries du Numérique), fait le pont avec l’actualité : « L’indice de durabilité se heurte à la réglementation européenne. […] C’est bien que la France soit pionnière, mais attention, le mieux est l’ennemi du bien. » Elle souligne les opportunités liées à la législation mais précise que cela reste à l’heure actuelle un « mille-feuille de réglementations, où l’on ne sait pas les priorités. » CSRD, AGEC, REEN, CSDD, ESRS, etc. De nombreuses réglementations que les acteurs doivent anticiper et prendre en main.

Dans ce cas, une harmonisation des réglementations est de mise. Il est nécessaire que les acteurs et actrices internationales se mettent autour de la table. Cyrille Maltot est président de Synairgis et membre de l’AGIT (Alliance Green IT) Québec. La priorité selon lui reste d’internationaliser les normes : « Il n’y a pas plus international que le numérique, donc il faut, des normes internationales qui permettent de s’entendre. » Cependant, la complexité induite par cette internationalisation n’en est pas moindre : « À l’AGIT Québec, ils ont mis à jour la norme ISO 20 000. […] Cela a été compliqué, car le culturel est différent. Les aspects de recyclage, d’énergie changent. » La table ronde soulève des questionnements, sans pour autant entrevoir de possibles solutions concrètes.

Les sorties du GreenTech Forum

Évaluer les impacts environnementaux des systèmes d’informations

Le GreenTech Forum 2023 a été le lieu du lancement du nouveau référentiel d’évaluation de l’empreinte des systèmes d’informations à l’échelle d’une organisation, le RCP SI. Ce nouveau référentiel publié par l’Ademe a mis autour de la table plus d’une dizaine d’organismes acteurs du numérique responsable en France.

Contextualisons. En 2020, dans le cadre de la loi AGEC, l’ADEME lance des travaux autour de l’affichage environnemental pour le numérique, afin de définir des méthodologies consensuelles et communes. Deux objectifs y sont associés, explique Julia MEYER, Ingénieure sobriété numérique à l’Ademe : « évaluer et suivre la réduction des impacts environnementaux des organisations utilisatrices de services numériques (écoconception) et informer le consommateur de service de son impact pour faire un choix éclairé. » 4 RCP sont donc nés sur : l’ACV des services numériques, les Fournisseurs d’Accès à Internet, le réseau, les datacenters et le cloud.

Ce 5ème RCP vient donc compléter les autres en encadrant l’évaluation des impacts d’un système d’information au travers de la méthodologie de calcul ACV. Son périmètre d’application est le suivant :

  • Équipements connectés au réseau de l’organisation
  • Cloud
  • Matériel et flux d’énergies non numérique nécessaire (climatisation, ondulateur, etc)
  • Déplacement des personnes qui contribuent à la maintenance du SI (collaborateurs de la DSI)

Les exclusions sont les suivantes :

  • Flux liés aux emballages des équipements
  • Claviers, souris
  • Chargeurs
  • Déplacements domicile-travail des collaborateurs
  • Équipements des clients finaux
  • Services numériques

Nous pourrons évaluer la portée du document une fois celui-ci éprouvé par plusieurs organisations. Le document est dès à présent disponible au sein de la librairie de l’Ademe.

De manière générale, le thème de l’évaluation de l’empreinte environnementale du numérique était au cœur des discussions. Les acteurs se sont succédés pour évoquer ce sujet essentiel. Le premier challenge à résoudre est celui de la disponibilité des données et de la fiabilité des données. À l’heure actuelle, de nombreux acteurs font le constat que le premier point de blocage se situe à ce niveau.

Plusieurs tables rondes étaient consacrées à ce sujet, comme « Pourquoi évaluer les impacts environnementaux du numérique (services / applications et produits / infrastructures) ? » ou encore « La méthode « Analyse de Cycle de Vie », un cadre d’évaluation d’impact reconnu par tous et adaptée au numérique (services / applications et produits / infrastructures) ». L’ADEME a par ailleurs présenté ses ambitions sur ces sujets d’évaluation de l’empreinte environnementale du numérique à travers la présentation des programmes Alt Impact et Econum.

Le GreenTech Forum s’exporte

Après trois éditions du GreenTech Forum à Paris, celui-ci s’exporte. Veronique Torner, présidente de Numeum, a annoncé le lancement d’une première édition d’un GreenTech Forum à Bruxelles. Celui-ci prendra place les 18 et 19 juin 2024. Nous n’avons pas plus d’informations pour le moment. L’ouverture des candidatures ainsi que des inscriptions se feront courant 2024.

Informer sur les enjeux et solutions face aux impacts du numérique

Le GreenTech Forum a aussi vu pré-naître un média papier dédié au numérique responsable. Nous avons eu le plaisir avec Rémy Marrone de lancer durant l’événement, notre média VR*, Vraiment Réel. Un média 100% indépendant, associatif et à but non-lucratif, prônant un journalisme de solution au service d’un numérique repensé. Notre numéro pilote du GreenTech est exceptionnellement disponible en ligne sur vraimentreel.com

Afin de sécuriser une première année d’existence de VR*, nous avons ouvert une campagne de crowdfunding. L’objectif, d’ici un an, d’être reconnu comme organe de presse et d’obtenir des subventions.

Nous avons fait le pari d’adresser le sujet du numérique responsable de manière partiellement dénumérisée. À l’heure du tout numérique, c’est un challenge tant financier qu’organisationnel. Mais on a décidé de le tenter. Afin de proposer un canal d’informations hors des écrans, tellement présents et trop souvent néfastes pour notre santé mentale. Une aventure risquée mais profondément sincère. On a hâte de le voir entre vos mains et d’avoir vos retours.

A propos de l'auteur

Alizée Colin

Fondatrice & rédactrice

UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.

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