Sortons du débat français pour faire l’état des lieux du numérique responsable à l’international. À quel niveau le débat est-il ouvert ? Y a-t-il des sujets plus avancés que d’autres ? Où tournent les pensées et les gouvernements sont-ils impliqués ? Devons-nous prendre exemple sur nos voisins européens, asiatiques ou américains ?
Les initiatives européennes prometteuses
Côté numérique responsable à l’international, nos chers pays frontaliers et voisins ne sont pas en reste. Cependant, il semblerait que le sujet soit encore entre les mains d’une poignée d’intéressés.
La France est très avancée sur le sujet, quoiqu’on puisse en dire. Les premiers chiffres sortis sur l’impact du numérique sortent tout droit de The Shift project, think-tank français. Les professionnels de toutes spécialités, autant que le grand public, sont de plus en plus nombreux à s’emparer du sujet en France. Les discussions s’enrichissent aussi bien autour des enjeux environnementaux que sociaux et sociétaux du numérique.
Belgique
Voisin du Nord, la Belgique a tout pour devenir aussi un acteur européen sur le sujet du numérique responsable. Depuis plusieurs années déjà, ce sont surtout les questions d’inclusion et d’accessibilité numériques qui étaient les plus évoquées. La fondation Interface3.Namur travaille depuis 2004 à introduire le numérique à toutes et tous, luttant contre la fracture numérique. Plus récemment, la Fondation pour l’Inclusion Digitale (FID) sensibilise le grand public aux inégalités induites par le numérique.
Mais l’aspect social n’est pas le seul sujet que les belges souhaitent traiter. Fin 2020, l’INR Français a annoncé le lancement de l’ISIT Belge, le Belgian Institute for Sustainable IT en collaboration avec Green IT Belgium. Cette nouvelle entité a pour but d’être un acteur clé dans les débats publics autour du numérique responsable. Les discussions belges et européennes autour des enjeux environnementaux du numérique sont alors renforcées.
Suisse
À l’Est, c’est notre ami Suisse qui est également très impliqué dans le numérique responsable. Côté entreprise, Infomaniak est souvent présenté comme un des hébergeurs web les plus responsables d’Europe. Côté associatif, le mouvement s’est propagé depuis plus d’une dizaine d’années avec GreenIT-CH et GreenIT Switzerland. GreenIT-CH est soutenu par GreenIT.fr, acteur clé du mouvement français et englobe les mêmes sujets : conception responsable de services numériques et stratégie de numérique responsable au sein d’une entreprise. L’organisation ne semble plus réellement active. GreenIT Switzerland, dynamise les échanges en se nourrissant de la collaboration de la communauté engagée de la Swiss Informatics Society (SI) et de l’Association des Télécommunications Suisses (ASUT). Mais également de la Swiss Datacenter Efficiency Association et la société Resilio, accompagnant les entreprises dans leur transition NR. GreenIT Switzerland a mis en place plusieurs outils de mesure et de sensibilisation.
Un nouvel arrivé dans cet écosystème est la branche suisse de l’INR, ouverte début 2021. Encore frais, ce nouvel acteur peut par la suite apporter une réflexion sur les sujets sociaux et sociétaux, pour l’heure moins traités en Suisse. Une collaboration entre tous les acteurs et en lien avec les instances gouvernementales semblent être en cours pour faire avancer le sujet.
Pays-Bas
Les Pays-Bas sont aussi un lieu riche pour le numérique responsable à l’international. Entreprises engagées et associations pro-actives rendent le pays propice à de bons échanges. L’entreprise Fairphone, l’une des premières proposants des terminaux plus responsables et durables, a décidé de s’y implanter.
Côté associatif, il n’y a pas de thématiques prépondérantes. Les enjeux environnementaux et sociaux y sont tous traités par différentes organisations. Closing the loop s’attaque aux impacts environnementaux en rapatriant les déchets électroniques envoyés en Afrique ou en Asie tandis que Green IT Amsterdam sensibilise les professionnels à l’éco-conception web. Côté social, Bits of Freedom s’engage sur le sujet des libertés et de la vie privée au sein des services numériques quand la Waag Society s’empare du sujet de l’inclusion, de l’ouverture et des inégalités numériques.
Sur le plan législatif, des mesures inédites ont été prises pour la capitale d’Amsterdam avec “le premier moratoire du monde sur la construction de nouveaux centres de données” explique Guillaume Pitron dans son livre Voyage au bout d’un like.
Nos voisins plus timides sur le sujet
Angleterre
De l’autre côté de la Manche, l’Angleterre reste quelque peu timide. Seules des initiatives privées tentent de faire bouger les choses. L’acteur le plus avancé sur le sujet reste l’équipe de l’agence digitale Wholegrain Digital. À son actif, plusieurs initiatives de sensibilisation sur l’empreinte environnementale des services numériques, comme l’outil de mesure WebsiteCarbon et le projet Sustainable Web Manifesto, signé par plus d’un millier de personnes. Le livre de son co-fondateur Tom Greenwood est aussi une pierre angulaire dans le mouvement du “sustainable web design”. L’événement Sustainable UX, porté par plusieurs designers anglais, marque aussi une volonté d’agir.
D’autres initiatives privées anglaises tournent-elles autour des énergies renouvelables nécessaires au fonctionnement des datacenters. Cependant, il est difficile de démêler les actes sincères du greenwashing… Néanmoins, espérons que ces graines semées atteindront la sphère publique et législative nationale, qui manque encore de s’intéresser au sujet.
Allemagne
Tout comme l’Angleterre, l’Allemagne reste timide sur le sujet. Seule une poignée de professionnels engagés et de particuliers curieux tente de faire éclore des réflexions. Byung-Chul Han, philosophe allemand, a porté plusieurs réflexions sur les menaces démocratiques et sociales qu’amène le numérique dans deux ouvrages : Dans la nuée et Sauvons le beau. Du côté de la vie privée, l’universitaire Thorsen Strufe y a dédié plusieurs travaux salués. Les initiatives tant publiques que privées se font rares.
États-Unis
Les États-Unis sont très développés sur les sujets des technologies et du numérique. C’est pourquoi les mouvements autour des impacts du numérique ne manquent pas. Sur le plan environnemental, Tim Frick est un acteur clé, avec son agence MightBytes. Il a notamment écrit un livre sur le sujet : Designing for Sustainability. Le mouvement Tech for Good est aussi très présent et a été largement déployé depuis 2014 par l’ONG Tech for Good TV. À la fois engagé sur les sujets environnementaux que sociaux, le mouvement a fait naître de nombreuses actions à travers le pays.
De nombreux lanceurs d’alertes viennent aussi nous informer depuis les États-Unis, particulièrement sur les thématiques sociales. Nous pouvons évidemment citer Edward Snowden sur la surveillance numérique perpétrée par la NSA. Mais aussi Tristan Harris, ancien ingénieur chez Google s’engageant contre le design d’attention avec le Center for Humane Technology, Joy Buolamwini avec l’Algorithm Justice League sur les discriminations induites avec l’intelligence artificielle ou encore, plus récemment Sophie Zhang sur le manque d’actions de Facebook face aux fake news et à la manipulation politique. Data&Society est également un acteur à citer, luttant pour l’impact social induit par les technologies et l’utilisation du big data. Access Now s’engage aussi du côté des droits et des libertés sur le web.
Qu’en est-il des pays du tiers-monde ?
Malheureusement, la plupart de ces pays prennent de plein fouet tous les aspects néfastes que le secteur numérique a pu développer ou accentuer.
Amérique Latine
L’Amérique Latine, formée majoritairement de pays émergents ou en voie de développement, n’est que peu engagée sur le sujet. Sans surprise, la fracture numérique est un problème persistant, même si celui-ci aspire à s’estomper. En pleine transformation digitale, les regards ne se tournent que peu vers les impacts environnementaux ou sociaux du secteur.
Afrique
Les pays africains sont au cœur de la chaîne matérielle du numérique. Les étapes d’extraction de matières se font en majorité sur le continent ou dans les pays d’Amérique Latine. Aussi, le Ghana ou encore le Nigéria sont au centre de la fin de vie de nos appareils, accueillant nos déchets électroniques dans des décharges à ciel ouvert. Des regroupements se forment pour tenter de pallier ces problèmes comme l’E-Waste Relief, ONG nigérienne souhaitant sensibiliser et soutenir de nouvelles méthodes de démantèlement. L’engagement des gouvernements respectifs reste hétérogène, malgré la connaissance certaine du sujet. Certains pays comme le Ghana s’engagent et financent des centres de traitement plus contrôlés.
L’initiative Green TIC Africa est également à mentionner avec ses différentes interventions de sensibilisation grand public sur l’ensemble des points clés du numérique responsable.
Asie
Changeons de continent pour s’approcher des usines de productions de terminaux accolées aux centres de recherche high-tech. L’Asie est une région du monde tiraillée entre des ambitions d’innovation et une chaîne de production écrasant les plus pauvres. Les conditions de travail des usines d’assemblage de nos smartphones sont souvent pointées du doigt. Jenny Chan, Mark Selden, Pun Ngai y ont d’ailleurs consacré un ouvrage : Dying for an iPhone. Malgré ces lanceurs d’alertes, peu de voix s’élèvent, sûrement pour éviter les foudres politiques.
D’un point de vue environnemental, il est difficile d’émettre une photo de la situation actuelle en Asie. Les réflexions sur la “green tech” portent plus sur le sujet des énergies renouvelables que sur le numérique et ses installations. L’initiative Asia Green IT Forum avait pour ambition d’introduire le sujet aux professionnels asiatiques mais l’événement paraît peu actif depuis plusieurs années.
Conclusion
Ce tour d’horizon ne peut mentionner toutes les actions individuelles ou locales bien présentes et essentielles à l’avancée du numérique responsable à l’international. Au-delà des initiatives et avancées pays par pays, des milliers (millions ?) de personnes tentent de construire un numérique plus positif, sur tous les sujets. Des voix s’élèvent aux quatre coins du monde et nous ne pouvons qu’espérer continuer en ce sens. La collaboration autour du numérique responsable à l’international est cruciale pour démultiplier l’impact des idées, outils et réglementations mises en place. J’ai à cœur de penser que nous sommes juste à l’aube d’un futur plus conscient, où le numérique responsable ne sera plus un mouvement mais bel et bien la norme. Et c’est grâce à ces acteurs susmentionnés que nous arriverons. Merci à eux.
A propos de l'auteur
Alizée Colin
Fondatrice & rédactrice
UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.
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