Sujet encore neuf et commençant tout juste à toucher le grand public, le numérique responsable porte son lot de fausses idées et bonnes pratiques. À force de recherches depuis plusieurs années, j’ai souvent dû désapprendre des idées reçues et des “mauvaises bonnes pratiques”. Il est important, je trouve, d’évoquer ce point pour mieux orienter nos actions individuelles comme collectives.

Si nous mettons notre focus sur des bonnes pratiques impactantes et faciles à mettre en place, notre efficacité sera démultipliée. Voici alors un léger tour des fausses idées sur le numérique responsable.

Les idées reçues sur le numérique responsable côté usages

Non, supprimer ses mails n’a pas beaucoup d’impact

Et oui, la suppression d’e-mail et le tri de nos boîtes mail sont très souvent les premiers gestes que nous entendons pour enclencher une démarche pour un numérique responsable. Néanmoins, ces gestes très chronophages n’ont que peu d’impact. Concernant les e-mails, l’impact se joue plus lors de son envoi ou de sa lecture. Frédéric Bordage l’explique dans son livre Sobriété numérique : “il faut en moyenne deux fois plus d’énergie pour expédier un e-mail que pour le stocker pendant un an”. Si nous souhaitons agir sur nos boites mails, commençons alors par traiter le problème à sa base en limitant l’envoi d’e-mails.

De manière plus globale sur le numérique, si nous devons concentrer nos actions, commençons par garder le plus longtemps possible nos appareils, limiter l’usage de 4G et éteindre sa box internet lorsque non utilisée. Ces gestes ont plus d’importance dans la lutte contre la pollution numérique.

Les moteurs de recherches écologiques ne le sont pas vraiment

Et oui, plusieurs d’entre nous pensent bien faire en choisissant un moteur de recherche qui plante des arbres ou qui rend notre recherche “neutre en carbone”. C’est instinctivement que j’en ai utilisé un et mis en avant plusieurs dans un ancien article. Cependant, la plupart se basent sur des moteurs de recherche comme Google, Yahoo ou Bing et ne sont alors qu’un ajout de code à du code. Cet ajout induit alors des impacts à différents niveaux : consommation d’énergie supplémentaire pour le transfert d’informations aux serveurs, coûts environnementaux liés à l’ensemble du cycle de vie des serveurs mobilisés… Finalement, notre recherche s’avère alors plus polluante.

Si nous souhaitons agir sur notre recherche, nous pouvons préférer des moteurs de recherches ne se basant pas sur d’autres existants, comme Qwant ou DuckDuckGo.

Les datacenters ne sont pas la première source de pollution numérique

Contrairement à ce que l’on peut croire ou entendre, les datacenters ne sont pas le point noir du secteur numérique. Selon l’étude de GreenIT.fr de 2020, les centres informatiques ne sont responsables que de 4 à 15 % des impacts du numérique français. Ces chiffres s’expliquent par les nombreux moyens mis en œuvre pour avoir des centres de données plus performants. Le Power Usage Effectiveness (PUE) de la plupart des infrastructures s’améliore grâce à des techniques de refroidissement moins énergivores et une réutilisation de la chaleur émise.

Les datacenters sont souvent pointés du doigt. Cependant, même s’ils restent des infrastructures nécessitant de l’énergie, ce sont plutôt les données en transit et stockées qui sont la source de cet impact. Enfin, la première cause de pollution numérique reste la fabrication de nos terminaux (ordinateurs, smartphones…).

Les câbles sous-marins pour transmettre nos données ne sont source que d’une faible pollution

Et oui, c’est lors de ma lecture du récent livre de Guillaume Pitron, L’enfer numérique, que j’ai appris que “l’impact écologique de la Toile sous-marine serait quasi-nul”. En effet, on pourrait croire que les milliers de kilomètres de câbles qui courent dans nos océans sont une plaie environnementale. Mais il apparaît que leur analyse de cycle de vie n’est pas si mauvaise. Des questionnements sur l’impact de leurs champs magnétiques et de leur ossature sur l’écosystème ont été émis. Cependant, plusieurs études n’y voient que peu de menaces sur l’environnement. 

Les réflexions se tournent d’avantages vers la fin de vie de ces câbles qui vont continuer à s’allonger au fil de nos usages numériques grandissants. Des actions de recyclage de câbles sont déjà en cours par des organismes privés indépendants. Nous pouvons espérer dans l’avenir des réglementations en la matière, qui pourrait “imposer aux copropriétaires de l’ossature du Net l’obligation de nettoyer les fonds marins de leurs cheveux de lumière”. 

Pour finir, les impacts résident plutôt dans nos usages et notre création exponentielle de données nécessitant de nouvelles infrastructures sous-marines, que les infrastructures elles-mêmes.

Les idées reçues côté éco-conception web

Le dark mode n’induit pas toujours une économie d’énergie

Dans l’éco-conception web, l’idée qu’un fond noir nécessite moins d’énergie à afficher qu’un fond blanc a été souvent évoquée. En réalité, cette vérité dépend du type d’écran. L’impact de l’affichage de pixels noirs sur les écrans LCD ne diffère pas des pixels blancs. Pour les écrans OLED et AMOLED, les pixels noirs ne sont tout simplement pas allumés. C’est alors dans ces cas que l’on parle de gain d’énergie. Cependant, au-delà de ne s’appliquer qu’à certains types d’écrans, il s’avère que le gain est modeste. Selon une récente étude de la Purdue University, “le passage du mode clair au mode sombre ne permettrait d’économiser qu’entre 3 et 9 % d’énergie” (source). De plus, des discussions actuelles viennent aussi appuyer cet impact minime. En réalité, l’utilisation du mode sombre peut pousser l’utilisateur à augmenter la luminosité de son écran. Les faibles effets bénéfiques du mode sombre seraient alors entièrement contre-balancés.

Ne nous n’y méprenons pas, il est toujours intéressant de concevoir des services numériques avec une possibilité de basculer en mode sombre. Des avantages sur notre sommeil ont été perçus. Cependant, l’impact est plus minime que la grandeur que l’on lui porte.

Un logiciel open-source n’est pas toujours un logiciel libre

L’idée qu’un logiciel open-source soit la même chose qu’un logiciel libre est un raccourci que beaucoup font (moi y compris). Cependant, des subtilités les différencient. Un logiciel open-source est, par définition, ouvert. C’est-à-dire que son code source est accessible à tous. L’Open Source Initiative a créé l’Open Source Definition, qui régit l’accréditation officielle des licences open-source. 

Quand “l’open source” s’axe plus sur la pratique et la technique le “libre” vie à garantir 4 libertés :

  • La liberté d’exécuter le programme pour tous les usages ;
  • La liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à ses besoins ;
  • La liberté de redistribuer des copies du logiciel ;
  • La liberté d’améliorer le programme et de publier ses propres améliorations ;

Fondamentalement, la différence réside dans la vision qu’on en a. Pour une grande partie des communautés respectives, le mouvement des logiciels libre est arrivé avant celui de l’open source et va plus loin.

Des décisions tournées vers l’accessibilité ou l’écoconception peuvent avoir des impacts négatifs sur l’autre

Tout serait plus simple si une décision fonctionnelle en écoconception pouvait être aussi bénéfique d’un point de vue de l’accessibilité ou de l’inclusion. Or, au-delà de ne pas être toujours le cas, certaines décisions peuvent même avoir un impact négatif. Par exemple, de plus en plus de sites web décident d’utiliser une écriture plus inclusive, notamment à base de points médians. Cependant, les points médians ne sont pas encore pris en charge par les liseuses d’écrans pour les personnes malvoyantes ou aveugles, ce qui rend la lecture d’un site plus complexe. Ces exemples nous rappellent l’importance d’inclure toutes les externalités négatives et positives dans une prise de décision dans la conception plus responsable d’interfaces.

A propos de l'auteur

Alizée Colin

Fondatrice & rédactrice

UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.

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