Que sont et à quoi servent les câbles sous-marins ?
Les câbles sous-marins sont les tentacules qui permettent le fonctionnement de plus de 90% des liaisons internet mondiales. Sans elles, aucune donnée ne pourrait transiter des serveurs à nos appareils, et inversement. Surnommées les autoroutes de l’information, on en dénombre plus de 450 à l’aube 2022.
Cette infrastructure physique permet au monde virtuel d’exister. Chaque like, mail envoyé ou vidéo regardée est transformé en signal naviguant depuis nos appareils jusqu’à des centres de données, grâce à ces câbles. Ne dépassant pas les 8cm de diamètre, un câble contient plusieurs paires de fibres optiques permettant la transmission d’informations par pulsation de lumière. D’après l’Ademe, une donnée numérique (mail, téléchargement, requête web…) parcourt en moyenne 15000 km.
Cette infrastructure physique déployée sur des milliers de kilomètres entre plusieurs pays n’est alors pas sans impacts. Lorsque l’on plonge dans ce réseau amphibie, de nombreuses questions apparaissent. Quel est l’impact environnemental de tout le cycle de vie de ces installations ? Qui les détient ? À mesure que les connexions s’intensifient, doit-on se préparer à les voir se décupler ?
Géopolitique des câbles sous-marins
Possession des câbles : le poids des entreprises privées
Aujourd’hui, plus des ¾ de ces infrastructures sont entre les mains des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). En clair, ces entreprises privées ont en majorité le contrôle sur la diffusion de l’information. Comme évoqué dans un article précédent sur la souveraineté numérique, ce sont elles qui détiennent aussi en majorité les données que nous créons. Posséder ces câbles veut aussi dire pour ces entreprises délivrer les informations plus vite. Et dans le numérique plus que nulle part ailleurs, le temps, c’est de l’argent. Les sociétés de télécommunications comme Orange en France peuvent aussi s’allier aux géants du numérique pour la mise en place et le contrôle des câbles.
Contrôle et propriété des câbles sous-marins : où sont les États ?
Dans ce cas, où sont les pays dans ce marché mondial ? Aucun État, à proprement parler, ne détient de câbles sous-marins. Ils sont plus à même de soutenir les entreprises privées dans le déploiement des câbles. Il leur est aussi possible de s’opposer à la construction de câbles, en interdisant leur atterrissage sur les côtes.
L’enjeu pour les États est alors de regagner du poids sur la diffusion de l’information, en soutenant la mise en place de câbles par leurs entreprises nationales. C’est ce qu’est en train d’établir la Chine avec ses GAFA locaux, les BATX : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi. En investissant dans le déploiement de câbles entièrement gérés par des entreprises chinoises, le gouvernement a la mainmise sur la transmission de l’information. C’est aussi une stratégie pour l’État afin de soutenir le business intensifié grâce à ces nouvelles routes numériques.
Dans la bataille constante entre les puissances étatiques, les États-Unis détiennent encore un pouvoir important. Une majorité de nos usages étant connectés à leurs entreprises privées, une grande partie des câbles atterrissent sur les plages américaines. Cependant, comme évoqué, la Chine et la Russie gagnent du terrain. L’Europe, coincée entre ces puissances, peine à trouver sa place. Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux internationaux d’Orange explique : “Les Européens n’ont plus les moyens d’établir un leadership, surtout sur une route aussi compétitive que celle entre l’Europe et les États-Unis.”
À qui ces câbles sous-marins servent-ils ?
Au-delà d’avoir la main sur ces câbles, certains États voient déjà de l’intérêt à simplement être connecté. Dans l’expansion mondiale d’Internet, n’oublions pas que certaines parties du globe peinent à y avoir accès. Les continents Africain et Sud-Américain ne jouissent pas d’une grande connexion au réseau Internet mondial. Le déploiement de câbles sous-marins rattachés à leurs côtes est alors une aubaine. Ces infrastructures leur permettent d’offrir une meilleure connexion à leur population mais aussi de développer des commerces de manière internationale.
Géopolitique des câbles sous-marins : quels dangers ?
Nous sommes alors en face d’un numérique dont les infrastructures sont en majorité privatisées. La possession et le contrôle des câbles de télécommunications par un petit groupe de personnes peuvent poser des problèmes. Nous sommes tous dépendants de ces infrastructures pour utiliser Internet. Que faire si ces entreprises décident de “débrancher” un pays ? Ou si un accident provoque cette coupure ?
Plusieurs exemples sont évocateurs. Dernièrement, en 2019, ce sont les 100 000 habitants des îles Tonga qui ont été coupés du monde deux semaines durant, lorsque le seul câble desservant les îles s’est vu coupé. Si un pays a développé tout un système économique et/ou d’organisation publique via Internet, une simple coupure peut avoir des conséquences importantes sur la stabilité du pays.
Le contrôle des câbles sous-marins par des puissances comme la Chine peut aussi participer à l’ancrage d’une dictature sur leur population. Celle-ci est alors menée avec un Internet filtré, où seules les informations validées par le gouvernement peuvent parvenir jusqu’à la population.
Surveillance et terrorisme : un scénario peu éloigné
Tout comme d’autres transports (maritime, ferroviaire) il est plausible que les câbles de télécommunication soient la cible d’attaques. En temps de guerre ou de crise mondiale, couper l’accès Internet d’un ennemi est un puissant moyen de pression. Des actes de sabotage terroristes peuvent aussi se mêler à la partie, par différents groupes. Les intérêts peuvent être multiples, notamment déstabiliser une nation mais aussi surveiller ses communications. Une puissance pourrait alors couper les câbles d’une autre et rediriger les communications vers un câble surveillé.
Ces scénarios ne sont pas une fiction. En 2013, Edward Snowden avait déjà révélé que la NSA et les services secrets britanniques surveillaient certains câbles. La France, elle, se réserve le droit d’intercepter les informations transitant par les câbles « aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation ». Quant à la Russie, l’augmentation de son trafic naval près de câbles stratégiques pour l’occident ne rassure pas l’Europe et les États-Unis.
Impact environnemental des câbles sous-marins
Après ce tour d’horizon des enjeux géopolitiques, revenons 20 000 lieues sous les mers. Quels impacts ont ces infrastructures sur l’environnement et les fonds marins ? Globalement, l’ensemble du réseau Internet mondial comprend à la fois les câbles sous-marins, les antennes, les câbles sous-terrains et d’autres installations comme les box. Le réseau est la deuxième plus grande source d’impacts du numérique, après nos appareils. Il est cependant intéressant de relativiser cet impact, quand nous savons que les ¾ des impacts du numérique sont liés à nos appareils.
Installation et contrôle des câbles sous-marins
Néanmoins, l’ensemble des câbles posés dans les profondeurs mesure 1 200 000 kilomètres, soit 32 fois le tour de la Terre. Une sacrée installation qui demande des équipements (navires, robots, drones…) pour être installée et contrôlée.
Le câble est installé à l’aide de navires câbliers et d’outils creusant le fond marin pour l’ensouiller. Pour l’écosystème marin et des plages, les câbles restent une faible menace. De nombreux requins sont attirés par les câbles et peuvent les attaquer. Pour autant, aucun animal n’est mort après ces attaques. Sur les côtes, l’atterrissage des câbles peut coïncider avec des lieux de nidification de certains oiseaux. Ce fut le cas avec la suspension de l’atterrissage du câble Dunant en mi-mars 2020 pour laisser le Gravelot à collier interrompu faire son nid.
Le contrôle constant demande aussi des moyens maritimes. Un spécialiste des câbles sous-marins explique “si des navires câbliers ne passaient pas leur temps à les réparer, l’Internet mondial serait coupé en quelques mois à peine” (extrait du livre L’enfer numérique, Guillaume Pitron).
Les câbles zombies : une ressource à exploiter
Les regards se tournent aussi vers les câbles zombies, des câbles qui ne sont plus utilisés et qui restent au fond de l’eau. La plupart des propriétaires les laissent ainsi car il est moins coûteux que de les remonter. Cependant, composés de cuivre, d’autres métaux et de plastique, ils contiennent des ressources pouvant être recyclées. Certaines entreprises comme Mertech Marine rachètent les câbles obsolètes aux propriétaires pour les récupérer et les recycler. Un travail titanesque mais nécessaire face à l’épuisement des minerais et autres métaux. Guillaume Pitron explique également dans son livre que des États “pourraient même, un jour, imposer aux copropriétaires de l’ossature du Net l’obligation de nettoyer les fonds marins de leurs cheveux de lumières.”
Les câbles sous-marins : le serpent qui se mord la queue ?
L’augmentation de phénomènes extrêmes liés au changement climatique, comme les ouragans, peut altérer ces infrastructures. Ne serait-ce pas une boucle sans fin ? La multiplication des câbles ensouillés favorise l’accentuation des usages numériques. L’intensification des usages demande toujours plus d’infrastructures, d’énergie et d’appareils. Tout ce processus est un facteur aggravant le dérèglement des climats, lui-même venant affaiblir nos infrastructures réseau (dont les câbles). Bertrand Clesca, expert des systèmes sous-marins, le résume : “on peut établir une analogie avec le réseau routier : plus il croît, plus vous trouvez des voitures dessus. De la même manière, davantage de capacité génère davantage d’appétit pour la capacité.”
Que retenir ?
Sans cette ossature qui tapisse nos fonds marins, vous ne pourriez sûrement pas lire cet article. Le rôle de ces câbles est central pour le maintien des connexions mondiales. Les enjeux géopolitiques sont énormes, tant pour les intérêts sécuritaires et économiques des puissances que pour garder une position dominante et des moyens de pression sur les relations internationales. Les inquiétudes environnementales face à l’expansion de ces infrastructures sont légitimes. Pour autant, l’impact environnemental des câbles sous-marins est à relativiser face à celui de nos appareils (fabrication, utilisation et fin de vie comprises).
A propos de l'auteur
Alizée Colin
Fondatrice & rédactrice
UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.
Voir tous les articles