Le 18 et 19 juin 2024 se déroulait dans la capitale belge la première édition du GreenTech Forum Brussels. Antenne du GreenTech Forum se déroulant annuellement à Paris, l’événement se veut tourné vers l’Europe. Il cumule près de 700 visiteurs, 70 exposants et une trentaine de tables rondes et ateliers. Retour sur cette première édition.

Internationalisation du numérique responsable : une dynamique européenne croissante

Le premier sujet que je souhaite évoquer est l’importance fondamentale de l’internationalisation du sujet du numérique responsable. Cet événement est un pont entre de nombreuses nationalités inspirées par les mêmes enjeux. Polonais, suédois, néerlandais, allemands, anglais, belges, suisses, français et j’en passe, ont eu un espace d’expression essentiel pour faire avancer le mouvement. On en regrette presque de ne pas pouvoir se cloner pour aller échanger avec l’ensemble des participantes et participants. À vue d’œil, plus de la moitié des participants restent néanmoins francophones. C’est pourquoi nous nous devons de continuer les efforts de traduction des recherches, documentations et connaissances : afin d’éviter l’écueil de l’entre-soi. Il est d’ailleurs utile de rappeler que nous avons pu déceler de belles dynamiques à l’international. N’en déplaisent à notre orgueil français, les réflexions avancent en Europe ! Structuration, outillage et documentations font partie des prochaines étapes. Les réflexions sont alors ouvertes : le GreenTech Forum parisien devrait-il basculer sur des tables rondes 100% en anglais ? Quels sont les terrains d’expressions en dehors des événements annuels afin de faire perdurer les échanges à l’échelle européenne ? Comment faire converger nos forces et se nourrir des expériences de chacun ? Comment intégrer les spécificités sociétales et culturelles de l’ensemble des acteurs ? Ce qui reste certain, c’est que ce travail d’internationalisation n’est qu’à ses débuts. Il est donc capital de souffler sur les braises afin que le feu ne s’éteigne pas. Il est difficile pour l’heure de savoir si le numérique responsable réussira à capter l’attention des politiques et grands organismes, ou si celui-ci restera une tendance parmi d’autres. Dans un mouvement en pleine effervescence, mais récent, la fragilité reste entière. Lors de la plénière d’ouverture, Olivier Vergeynst, directeur du Belgian Institute for Sustainable IT (ISIT-BE), rappelle à Mathieu Michel, Secrétaire d’Etat à la Digitalisation : « J’espère que le numérique responsable restera à votre ordre du jour ».

Régulations européennes et incitations

Dans l’une des premières tables rondes de l’événement, Clara Grojean, manager de la politique environnementale à l’Afnum, Mathieu Rama, senior programme manager chez Ecos et Bianca Sofian, senior analyste en durabilité environnementale chez Cullen, ont exposé les diverses réglementations européennes afin de limiter les impacts environnementaux du numérique :

  • La réglementation la plus récente sur le secteur reste la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Celle-ci fixe une obligation de reporting des impacts environnementaux et sociaux pour les entreprises. L’adoption des normes de reporting sectorielles devait avoir lieu en juin 2024, mais celle-ci a été décalée de deux ans.
  • La réglementation ESPR (Ecodesign for Sustainable Products Regulation) fixe des critères d’écoconception de produits dans l’UE (capacité de recyclage, réparabilité, obsolescence, etc). Certains produits électroniques comme les smartphones sont régis par cette réglementation. Pour aller plus loin, j’avais décrypté cette réglementation dans le numéro pilote du média VR*. Bianca Sofian mentionne que la réglementation a banni la destruction d’invendus du secteur du textile. Ce principe a été proposé pour les appareils électroniques, cependant le fort lobbying du secteur a bloqué son adoption. L’ESPR vise également à introduire prochainement le Digital Product Passeport.
  • Le droit à la réparation, adopté en avril 2024, vient poser des critères de réparabilité auprès des fabricants, des conditions des services de réparations, etc. Mathieu Rama complète en émettant un point de vigilance concernant le prix élevé des pièces détachées, freinant la réparation. Point intéressant, chez Ecos, ils ont demandé aux équipes de Fairphone s’il était difficile de baisser les prix des pièces détachées. Celles-ci auraient répondu que non, il suffit de baisser ses marges. Clara Grojean mentionne néanmoins les coûts de stockage des pièces durant 7 ans, qui sont non négligeables s’ils sont en Europe.
  • Concernant les datacenters, le Climate Neutral Data Center Pact adresse l’efficience des datacenters. Le code de conduite européen des datacenters reste depuis 2008 une garantie de qualité et d’efficience du centre de données. L’Energy Efficiency Regulation oblige le suivi et le reporting d’indicateurs environnementaux des datacenters. Le cadre de reporting sera publié en septembre 2024. Selon Bianca, « les besoins en datacenters ne faisant qu’augmenter, les régulations vont tendre à se durcir. »

Ont été mentionnées également, les réglementations sur l’étiquetage environnemental ou encore la loi sur la cyberrésilience (cybersécurité). Le plus grand challenge du secteur et des organisations sera l’implémentation de ces régulations à grande échelle. Ce qu’il en ressort également, c’est bien le manque de réglementations à l’échelle européenne sur les logiciels. Un besoin fortement évoqué durant les échanges avec le public. Reste à voir comment l’Europe réussira à durcir les réglementations tout en facilitant leur conformité pour les organisations.

Impacts de l’IA : le mirage de la Tech for Good

Entre technosolutionnisme assumé et connaissances pour l’heure fragiles concernant cette récente technologie, les discours concernant les impacts de l’intelligence artificielle tendent à rester en surface. Dans les discours, l’optimisation prime sur l’utilité. Sur deux tables rondes dédiées aux impacts intrinsèques de l’IA et son rôle dans la transition environnementale, les discours se tournent majoritairement vers l’aspect Tech for Good que Green IT.

L’IA a en effet été présentée comme salvatrice des enjeux environnementaux globaux. Néanmoins, Geoffrey Aerts, professeur à l’Université néerlandophone de Bruxelles, rappelle la nécessité d’un cadre, d’une feuille de route et d’actions priorisées. Sans remettre en question la pertinence de son usage dans des cas d’usage spécifiques, il paraît en effet urgent d’évaluer et de réguler les impacts de cette technologie. C’est d’ailleurs ce qu’évoque Geoffrey Aerts : « Je regarde du côté des pouvoirs législatifs, si l’on n’a pas de cadre, les acteurs ne bougeront pas. » Atef Ben Othman, délégué aux usages numériques et à l’IA chez Numeum évoque également l’affront des acteurs à cette régulation : « L’IA Act entre en conflit avec la volonté des acteurs d’être en liberté complète. »

Une deuxième table ronde vient adresser les impacts intrinsèques de l’IA. Malheureusement, celle-ci semblait déséquilibrée. Là aussi, les discours étaient davantage portés vers son aspect salvateur qu’à ses impacts. Concernant les impacts intrinsèques, les conférenciers ont évoqué le manque de connaissances établies quant à la répartition des sources d’impacts. Nous savons pour l’heure que la phase d’entraînement reste la plus impactante, contrairement à la phase d’utilisation. Les inquiétudes partagées par les conférenciers reposaient sur les besoins croissants, voire exponentiels en énergie et centres de données. L’avènement des IA génératives dont les cas d’usages sont d’une multitude considérable sont plus gourmandes que celles sur un périmètre spécifique. Amael Parreaux-Ey, CEO de Resilio conseille l’utilisation d’IA sur des périmètres précis, assignées à des tâches spécifiques, afin que celles-ci puissent être efficientes.

En conclusion

Il reste à noter que peu de conférencières féminines ont été présentes au sein des tables rondes. Favoriser leur participation serait souhaitable pour une meilleure représentativité. Le GreenTech Forum Brussels est peut-être le berceau d’une dynamique européenne fédératrice. Nous sommes nombreuses et nombreux à espérer que celle-ci se pérennise. Afin que l’événement participe à la professionnalisation du mouvement, il devra également réussir à multiplier les acteurs non-francophones, préciser les échanges pour favoriser une montée en connaissances ou encore miser sur des retours d’expériences interculturelles.

A propos de l'auteur

Alizée Colin

Fondatrice & rédactrice

UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.

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