Image de couverture : Electronics factory workers, Cikarang, Indonesia © ILO/Asrian Mirza

Vendredi 20 mai, j’ai eu la chance d’assister à la projection du documentaire Complicit, retraçant le chemin de plusieurs ouvriers chinois lors de la fabrication de nos smartphones. L’événement organisé par Point de M.I.R et Télécoop a laissé place au débat et aux échanges après la diffusion avec Agnès Crepet, ingénieure chez Fairphone.

Cette projection débat a toute son importance lorsque l’on sait que la diffusion de ce documentaire primé n’a eu lieu qu’une fois en France depuis sa sortie en 2015. Interdit en Chine, son accès sur Internet est aussi impossible, car trop dangereux pour l’image des personnes filmées.

On le comprend tant sa force nous prend aux tripes. Déjà sensibilisés ou non aux problématiques sociales liées au numérique, cette bombe émotionnelle exhibe des visages, des prénoms et des souffrances qu’aucun chiffre ne peut représenter.

Fabriquer tue

Qui fabrique nos smartphones ?

Revenons à ce point de départ. 90% de nos appareils électroniques sont fabriqués en Chine. Une majorité fait partie de ce que l’on appelle les « travailleurs migrants ». Ils partent de leur village d’origine pour rejoindre une grande ville où se trouvent ces usines d’assemblage gigantesque. Parmi ces travailleurs migrants, 12 millions sont des adolescents souhaitant sortir leur famille de la pauvreté en gagnant un peu plus chaque mois.

Les maladies professionnelles

Dans ces usines, des produits toxiques sont couramment utilisés durant différentes phases. Le N-hexane et le benzène sont notamment utilisés comme solvants. De nombreux cas de cancer dus à une exposition trop importante au benzène ont été détectés par des ONG sur place. Le N-hexane utilisé pour nettoyer les écrans de nos smartphones, entraîne une paralysie pour ceux qui le manipule toute la journée. Ces maladies directement liées aux conditions de travail désastreuses ont notamment causé la mort de plusieurs employés chinois.

Ces maladies pouvant se déclencher plusieurs années après la fin de l’exposition, aucun chiffre fiable ne peut les quantifier. Ce documentaire a son importance par les histoires qu’il met en avant.

Un mensonge caché par les industriels

Et ce prolétariat électronique à n’importe quel prix est protégé par ceux qui l’ont instauré. Le dirigeant de Foxconn, sous-traitant de grandes marques comme Apple et Samsung, parle d’accusations non fondées. Quand les grandes marques rétorquent que ces substances toxiques ne sont plus utilisées dans les usines. En réalité rien n’a changé depuis la sortie du documentaire en 2015. Pire, ces mensonges sont un réel « social washing » : on nous affirme une meilleure traçabilité et conditions de travail alors que les enquêtes sur le terrain nous prouvent le contraire.

Au-delà de ces mensonges publics, les cas de cancer et de paralysie des employés de Foxcon ne sont que très rarement reconnues par l’entreprise comme maladie professionnelle. Des pots-de-vin ont été également découverts envers plusieurs hôpitaux pour cacher les affaires. Chaque ignorance de la part du gouvernement et de l’entreprise nourrit une injustice poignante pour chaque famille de victime. Ces gifles rythment leur quotidien.

Quel serait le coût du changement ?

Environ un euro supplémentaire par smartphone produit. Supprimer l’usage de benzène et de N-hexane par une entreprise comme Foxconn ne coûterait qu’un euro supplémentaire par smartphone. Lors de la conférence-débat à la suite de cette projection, Agnès Crepet de chez Fairphone l’a confirmé. Pour la fabrication de leurs Fairphones, ils tentent au mieux de travailler avec des sous-traitants payant décemment leurs employés et avec des conditions de travail correctes. Ils ont ainsi augmenté le salaire de leurs employés, le passant du minimum à ce dont ils ont réellement besoin pour subvenir à leurs besoins. Cette augmentation (environ x3) ne leur a coûté que 1,85$ par téléphone.

Mot de la fin

Cette projection est un moment comme nous avons peu. Il est essentiel de faire perdurer ce genre d’échanges et de multiplier les projections de ce documentaire (tout comme d’autres). Il est fondamental de nous poser ces questions, de voir ces visages et de les écouter. Il nous est trop simple de détourner le regard, car les impacts environnementaux et sociaux sont souvent loin de chez nous.

Ces tragédies sociales encore perpétrées à l’heure où j’écris ces mots sont encore moins évoquées que les impacts environnementaux liés au numérique. Peut-être car ils sont moins palpables, moins tendances que le green. Mais ne les oublions pas. Il est également de notre responsabilité de ne pas y participer en changeant nos manières de consommer. Adopter la sobriété dans nos achats, mieux choisir les produits et allonger leur durée de vie.

A propos de l'auteur

Alizée Colin

Fondatrice & rédactrice

UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.

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