Il nous est parfois facile d’oublier que le numérique, à sa base, n’est qu’un simple outil. Ni bon, ni mauvais, c’est l’utilisation que nous en faisons qui lui attribue un statut. Au cœur de la politique de surveillance chinoise, il peut être pris en main par un groupe d’individus et faire grandir un contre-pouvoir. Souvent décrit comme pharmakon (le poison et le remède), le numérique est en réalité gorgé de divergences dans son usage.

C’est d’ailleurs pourquoi plusieurs préféreraient une appellation plurielle : “des numériques”. Ici, ce sont des histoires d’un des numériques que je trouvais pertinent d’exposer. Celui du cybermilitantisme. Où quand le numérique, ses appareils et ses réseaux, participent à l’émancipation d’un peuple.

L’hacktivisme ou quand le codage devient politique

Internet et le numérique sont le berceau d’une grande culture hacker, où chacun utilise ses connaissances techniques pour « faire soi-même ». Dérivée de cette culture, l’hacktivisme a pour objectif le recours au piratage informatique et à la programmation à des fins bénéfiques au bien commun et politiques. Il est une forme du cybermilitantisme qui peut utiliser des moyens légaux mais s’aventure plus sur les pentes de l’illégalité.

Anonymous et la force du nombre

Certains mouvements, organisations et individus ont dédié leur vie à ces luttes et sont reconnus. C’est le cas du mouvement décentralisé Anonymous qui revendique fréquemment des hacks à l’encontre de gouvernements, organisations étatiques, sectes ou entreprises privées.

En 2014, Anonymous déclare une guerre numérique au Ku Klux Klan et dévoile l’identité et les informations de plusieurs centaines de membres. Le compte Twitter de la secte est également hacké et toujours suspendu aujourd’hui.

Anonymous a aussi un rôle central dans le Printemps Arabe de 2010 à 2012, mouvement de manifestations contre les gouvernements anti-démocratiques des pays comme la Tunisie, l’Egypte, la Syrie ou la Lybie. La cyber surveillance perpétrée par les gouvernements tentait d’étouffer les émeutes aux yeux du monde. Anonymous rédigea alors un script pour que les sites web tunisiens puissent contourner la surveillance et attaqua les sites du gouvernement pour les fermer. En Egypte, le mouvement travailla à ouvrir des sites web censurés par le gouvernement.

Aaron Schwartz, le visage de l’Internet libre

Aaron Schwartz était un jeune hacktiviste de 26 ans qui a toujours défendu l’accès libre à la connaissance et à l’information. Pour lui, elle constitue le meilleur outil d’émancipation et de justice.

Parmi ses grands combats, il a copié 5 millions de documents scientifiques issues d’une bibliothèque payante en ligne afin de les rendre accessibles à tous gratuitement. Son travail aidera les infrastructures scientifiques et médicales des pays reculés ayant peu de moyens à faire évoluer les traitements de patients et la recherche. Ce combat lui coûtera sa vie. Suite à ce hack, les poursuites s’élèvent à 35 ans de prison. Sous pression, Aaron se suicide avant la délibération du procès.

Démultiplier le pouvoir des lanceurs d’alertes

S’il y a bien une chose dont le numérique et Internet ont aidé à ancrer, c’est l’ouverture à la connaissance et à différentes sources d’informations. Avec Internet, les travaux des lanceurs d’alertes peuvent circuler sur l’ensemble du globe en un claquement de doigts.

Wikileaks a été la première organisation et plateforme web d’une longue liste. Elle permet à de nombreux lanceurs d’alertes et journalistes de publier anonymement des fuites (« leaks ») de documents. Les publications sont aussi vérifiées par de nombreux membres de Wikileaks, affirmant la véracité de ceux-ci. Par la transmission du savoir, cette plateforme redonne le pouvoir au citoyen vis-à-vis des états, et leur permet de résister à l’oppression et la corruption. Elle a été le cœur de nombreuses révélations depuis 2006 comme en 2015 lorsqu’elle révèle que de nombreux membres de l’élite française, y compris trois présidents de la République, ont été espionnés par la NSA. Le numérique a ainsi facilité la démocratisation de l’accès à l’information et a vu éclore d’autres sites similaires comme FrenchLeaks par Mediapart et Safe House par le Wall Street Journal.

Cybermilitantisme en tant de guerre : l'actualité Européenne

Plus récemment, les lanceurs d’alertes ont un rôle essentiel dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine. En parallèle des frappes sur les villes ukrainiennes, une guerre d’information et de désinformation se joue. En Russie, les médias indépendants tentent de faire barrage à la censure du gouvernement. Après la mise hors-ligne de plusieurs sites de médias russes, des hackeurs se sont organisés pour les publier à nouveau. Ces médias sont une source d’informations et de faits véridiques essentiels à la compréhension du conflit par les peuples en toute objectivité, chose non promise par les journaux télévisés du pays.

Le cybermilitantisme par les réseaux sociaux : insuffler l’espoir

Les réseaux sociaux ont ouvert une nouvelle ère, celle de l’activisme social. La diffusion d’informations brutes, du terrain et sans intermédiaires, a fait exploser des mouvements sociaux à travers le monde. L’effervescence des peuples durant le Printemps Arabe a été relayée sur les réseaux sociaux, notamment le plus populaire de l’époque : Facebook. Communication, organisation de rassemblements… les réseaux ont favorisé ce cybermilitantisme qui a permis une transition vers des régimes plus démocratiques dans divers pays arabes.

Plus récemment, #MeToo, Black Lives Matter et Occupy Wall Street sont les descendants directs de ce que le Printemps Arabe a lancé : un cyber-militantisme porté par tous. Dans tous ces mouvements, le numérique a facilité la sensibilisation à l’échelle mondiale de l’opinion publique. L’implication s’est alors vu multipliée et les pressions sur les États se font intensifiées. Les réseaux sociaux sont devenus un outil de lutte puissant pour chaque citoyen.

Qui peut le bien peut le mal

Néanmoins, il est important de rappeler que les impacts du numérique, et de ses outils, sont dirigés par ceux qui les utilisent. Le magazine Wired le résume : « Les outils qui ont catalysé le Printemps arabe (…) sont aussi bons ou aussi malveillants que leurs utilisateurs ».

La base même du cybermilitantisme est l’utilisation des capacités du numérique comme la diffusion rapide d’informations, l’organisation de mouvements liés à une idéologie ou des faits, le bénéfice de failles de sécurités pour toucher la présence en ligne d’institutions… La libre circulation d’informations et la liberté d’expression peuvent favoriser la transparence et la diffusion de faits vérifiés comme de supposions et pensées extrémistes. Toutes ces méthodes peuvent également être au profit de mouvements voués à désinformer ou à créer plus de tort et de mal que l’inverse.

Mais ces externalités négatives n’enlèvent en rien tout ce que le numérique a alloué aux différents mouvements cités. L’intensification de l’implication de chacun, facilité à son échelle, même par un simple tweet ou story, a permis de galvaniser des foules et de redonner espoir dans la victoire de luttes sociales importantes.

A propos de l'auteur

Alizée Colin

Fondatrice & rédactrice

UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.

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