Qui sont les humains en bout de chaîne qui fabriquent le numérique comme nous le connaissons ? Pour faire fonctionner les grandes plateformes sociales, modérer les contenus violents ou fabriquer nos smartphones… Des hommes et des femmes travaillent dans des conditions effroyables et méconnues. Mettons en lumière leur existence pour comprendre l’impact social du numérique.
Allant de la fabrication à leur fin de vie, en passant par leur utilisation, le numérique et les appareils pour s’y connecter n’existeraient pas sans la présence de nombreux acteurs à travers le monde. Derrière nos écrans, il est parfois difficile d’être touché par les événements qui se déroulent loin de chez nous. Pourtant, notre smartphone fait plusieurs fois le tour de la Terre et passe entre des milliers de mains avant d’arriver dans les nôtres.
Pour falsifier un pouvoir d’achat toujours plus grand pour les consommateurs, certains fabricants ou géants du numérique, n’hésitent pas à casser les prix côté conception. Allons à la rencontre de celles et ceux abusés par les rouages du numérique que nous connaissons.
Au début de la chaîne : les travailleurs des mines africaines
Les matières premières à la base de nos appareils électroniques proviennent en majeure partie d’une région en Afrique centrale. La République Démocratique du Congo posséderait 60% des réserves mondiales de coltan. Dans ce pays en voie de développement, ces terres rares sont convoitées par divers groupes voulant faire commerce de ce nouvel or noir. À tel point que ces matières sont appelées les minerais de conflits.
Au sein de cette zone instable, des hommes, femmes et enfants, sont chargés d’aller dans les mines pour extraire ces matières. Dans des pays où la chaleur est accablante, la température dans les mines avoisine les 40°c. Dans des tunnels à peine assez large pour laisser passer une personne adulte, les miniers se faufilent jusqu’à 40 mètres en dessous de la terre. C’est avec un équipement de fortune (lampe torche, pioche) qu’ils creusent la terre. Un extrait d’un documentaire signé Brut revient sur ces conditions.
Travail d’enfants dans les mines
Dans des pays où les revenus moyens sont très faibles, travailler à la mine advient plus de la survie que de l’amour du travail. Aussi, de nombreux enfants travaillent dans ces mines pour aider leurs parents à payer le “minerval”. Pour scolariser leurs enfants, les familles doivent s’acquitter de cette contribution mensuelle, allant de 10 à 30 dollars. Le travail dans les mines est alors pour eux une voie de s’en sortir, via l’éducation. Ce quotidien effroyable est décrit dans le livre d’Inès Leonarduzzi, Réparer le futur :
“Selon l’Unicef, au moins dix enfants trouvent la mort sous un éboulement chaque mois. Et lorsqu’une mine s’effondre, on abandonne les corps. Pas question de prendre du retard. […] Show must go on.”
Cet impact social du numérique sur les populations environnantes est de plus en plus mis en lumière. Notamment au travers de documentaires, dont le très bon Les secrets inavouables de nos téléphones portables, par Cash Investigation.
L’assemblage : une maltraitance chinoise
Puis loin dans la chaîne, et après quelques milliers de kilomètres parcourus, nos appareils atterrissent souvent dans les usines chinoises pour leur assemblage. Pour suivre la cadence, des millions de travailleurs se pressent à la chaîne 12 heures par jour, 6 à 7 jours sur 7. La pression est si forte que des vagues de suicides sont régulièrement enregistrées dans les usines et les logements de travailleurs aux alentours. Foxconn, sous-traitant de nos géants du numérique (Apple, Samsung, Huawei…) et plus grande usine de fabrication d’appareils électroniques au monde, en est le cœur.
Dans leur livre Dying for an iPhone, Jenny Chan, Mark Selden et Pun Ngai, exposent les conditions de travail abusives de ces usines. En Chine, ce sont des millions de travailleurs qui subissent la violence, la pression, les heures de travail abusives, les non-paiements…
Des “stagiaires” mineurs dans les usines ?
Un très bon article de GreenIT.fr de mars dernier fait un focus sur le cas particulier des stagiaires mineurs chinois. Semblable à de l’esclavage moderne, ils sont victimes des mêmes conditions de travail que les autres travailleurs. À la différence que leur statut reste celui d’étudiant, amenant des contrats résiliables à tout moment et l’absence de couverture sociale. Ce sont 15 millions de lycéens chinois qui seraient concernés.
Exploitation d’individus Ouïghours
Ce n’est pas tout. Face au soulèvement général lié à l’esclavage moderne de la minorité Ouïghour, de nombreuses enquêtes ont été menés du côté de la fabrication de nos appareils. Les géants de la high-tech comme Huawei, Microsoft, Xiaomi, Nokia, Samsung, Apple, ou encore Dell font partie de “la liste de la honte”. En effet, plusieurs sous-traitants ont été cités comme ayant recours au travail forcé de Ouïghours. Des enquêtes sont toujours en cours, face au déni de plusieurs de ces entreprises.
Réseaux sociaux : l’enfer des modérateurs de contenu
Face à l’explosion quotidienne du partage de contenus sur Internet, les réseaux sociaux doivent modérer ce qu’il s’ajoute sur leur plateforme. Photos, vidéos, liens externes, hashtags, descriptions… Autant de types de contenus à passer au crible. Et qui dit augmentation des contenus, dit augmentation proportionnelle des contenus extrêmes ou à caractère abusif.
Ce sont 350 millions de photos qui sont partagées chaque jour sur Facebook. Entre le premier et le second semestre de 2014, la censure des contenus a augmenté de 19%. Les plateformes sociales serrent la vis face à l’amplification du phénomène. Mais derrière cette modération, ce sont bien plusieurs milliers de personnes analysant chaque contenu signalé.
Dans une logique de limitation des coûts, ce métier horrifiant est externalisé dans des pays où les salaires sont plus faibles, en Asie ou en Afrique. En connaissant cette source de traumatismes, les géants préfèrent s’éloigner du sujet. Ils sous-traitent alors à des entreprises aux quatre coins du monde. Un très bon documentaire Arte nous plonge dans le quotidien et les traumatismes de ces “nettoyeurs du web”.
Des avancées à souligner ?
Payés au SMIC du pays, ils regardent pendant des heures des contenus traumatisants. Ils incluent de la violence, des décapitations, de la maltraitance animale, de la pédophilie, ou encore de la pornographie. Finissant pour la plupart avec des séquelles post-traumatiques, les employés ne tiennent pas plus d’un ou plusieurs mois. Ces conditions de travail inimaginables poussent de plus en plus d’employés à sortir du silence, malgré les pressions des entreprises. Suite à des procédures judiciaires, Facebook a déclaré en 2020 s’engager à verser 52 millions de dollars de dommages et intérêts à ses modérateurs américains. Aussi, la plateforme va plus soutenir ses employés en mettant en place des aides psychologiques. Une modération par le biais d’une intelligence artificielle est aussi en cours de développement. Ce dispositif pourrait alléger le travail des modérateurs, limitant leur exposition à des contenus trop violents.
Ces avancées sont à souligner, mais le chemin reste long avant de trouver des solutions concrètes pour pallier ces conditions de travail difficiles. Les traumatismes perçus par les modérateurs de contenus sont un impact social du numérique non-négligeable, qui doit être plus évoqué.
Conclusion : comment limiter cet impact social du numérique ?
Sans le travail de chacune de ces personnes, le numérique comme nous le connaissons n’existerait pas. Mais doit-on infliger un mode de vie désastreux à ceux et celles qui le construisent ? Comment pouvons-nous faire bouger les lignes pour avoir un impact social et sociétal du numérique positif ? Re-construisons le numérique en respectant les droits de l’Homme.
Pour limiter les abus durant la fabrication de nos appareils, une des solutions est de limiter l’achat d’appareils électroniques. Plus nous achetons de matériels neufs, plus nous participons à ce système néfaste autant pour les individus que l’environnement.
- Limiter un renouvellement trop empressé de nos appareils
- Préférer des appareils de seconde main ou reconditionnés…
- Même s’il est très difficile de contrôler les conditions de travail à des milliers de kilomètres, il est possible d’acheter à des marques plus engagées. Certaines, comme Fairphone, s’engagent à préserver de bonnes conditions de travail et trient leurs sous-traitants sur le volet.
Il est difficile d’agir à notre échelle pour limiter l’exposition des modérateurs de contenus. À part s’engager à ne pas publier de contenus obscènes ou violents, nos actions peuvent être limitées. Cependant, des moyens existent :
Soutenir des ONG engagées sur le sujet, qui vont engager une discussion avec les entreprises et gouvernements. C’est le cas de Digital for the Planet ou Amnesty International.
Signer des pétitions pour exiger de meilleures conditions de travail. Je n’en ai trouvée aucune active pour le moment. N’hésitez pas à partager en commentaire si vous voyez une pétition active sur ces sujets.
A propos de l'auteur
Alizée Colin
Fondatrice & rédactrice
UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.
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