Cette semaine se déroulait la deuxième édition du GreenTech Forum, salon dédié aux enjeux environnementaux du numérique, à sa mesure et aux solutions qui s’offrent à nous. Au cœur de ses deux jours, des publications de référentiels, l’état de la réglementation et les retours d’expériences de mesure des impacts. Revenons sur cet événement.

Une belle édition 2022 qui a doublé d’exposants et de réponses à l’appel à communication face à la dernière. Point à mettre en avant : nous retrouvons plus de speakers femmes que d’hommes cette année. Dans le secteur de la tech, où les femmes sont sous-représentées, cette décision est à saluer.

Vous pouvez relire le résumé de la première édition du GreenTech Forum.

Retour sur la plénière d’ouverture

La conférence d’ouverture a été portée par 4 intervenants clés. Les discours se succèdent sur l’importance d’intégrer le numérique au sein de la transition écologique. « L’IT ne fait pas exception » confirme le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.

L’accent est fait sur le reconditionnement, qui sera évoqué à plusieurs reprises au fil des conférences. « Nous sommes dans une économie des terminaux, qui ressemble à celle de l’automobile d’il y a quelques décennies. » Aujourd’hui le secteur automobile a basculé vers l’occasion en majorité. Le reconditionnement enclenché des terminaux numériques est à accélérer.

Cette plénière d’ouverture porte également l’accent sur l’IT for green, où comment le numérique doit être au service de la transition écologique (en optimisant des secteurs et facilitant les calculs). Cependant, il est important d’être vigilant face à ce point de vue, qui peut mettre l’urgence d’écoconcevoir le numérique, à la deuxième place.  La technologie n’est pas la réponse à tout.

Retour sur les conférences

Mesure d’impacts environnementaux du numérique en France et en Europe : état de l’art et challenges en 2022

Ce que l’on peut retenir de cette conférence, c’est que la mesure s’intensifie pour de nombreux acteurs du secteur au vu des différentes réglementations. Peu de différences sont à faire entre la France et l’Europe. Le pays est pro-acteur comme nous le savons : « On a des outils franco-français qui permettent d’accélérer le mouvement : on est un petit peu en avance avec le reste du monde » rappelle Frédéric Bordage. Le plus important, c’est de noter que plusieurs pays européens lorgnent sur la loi REEN française et comptent bien la reproduire. Il nous reste à savoir quand. On voit également une prise de conscience européenne. Anne Yvrande Billon, Directrice Économie, Marchés et Numérique à l’ARCEP, ajoute qu’un « groupe de travail des régulateurs européens » fait émerger le sujet du numérique responsable auprès de plusieurs pays. La Directive sur l’efficacité énergétique européenne, visant à limiter la consommation énergétique de l’Europe, est en cours de révision. Le sujet du numérique responsable dépasse les frontières peu à peu.

Le sujet de la labélisation est également évoqué. Celle-ci reste une forte demande, notamment sur l’écoconception de services numériques et logiciels. Malgré les avancées, elle reste « très difficile à mettre en œuvre ».

Le numérique responsable et l’économie de la fonctionnalité, l’émergence de nouveaux business models

Cette conférence porte sur les nouveaux modèles économiques liés à nos équipements. La matérialité du numérique a été au cœur de nombreuses conférences de cette deuxième édition. À la fois du côté des fabricants : comment vont-ils tenir leurs activités lorsqu’on sait que les ressources tendent à manquer et que l’on pousse les consommateurs à allonger la durée de vie de leurs équipements ? Le sujet touche aussi les organisations car celui-ci s’inscrit dans le scope 3 de chaque bilan carbone et est au centre de toute démarche numérique responsable, tant sur l’achat, l’utilisation que la gestion de la fin de vie.

Sur cette table ronde, on évoque plusieurs business models et pistes d’actions. Commown défend la location sans option d’achat et l’EFC, l’Économie de la Fonctionnalité Coopérative. Priscille Cadar, Responsable logistique affirme la possibilité d’avoir un business model où l’on « repousse le recyclage, ne revend jamais et reconditionne en interne ».

Cependant le changement de business model reste « une transformation compliquée » au niveau des emplois selon Aurélien PASQUIER, Président et Dirigeant du CJD de Rennes et de l’Agence Everest. Dell est dans les premiers fabricants de hardware à plancher sur des alternatives. La sortie de leur PC portable plus sobre Concept Luna démontre leur envie d’avancer vers un numérique limitant ses impacts. Location, manuel de l’éco-utilisateur, indice de réparabilité étendu aux PC… Dell choisit de tâtonner une transformation sur plusieurs fronts.

Pour les organisations, la question de la gestion du parc informatique préoccupe les DSI : multitude de profils utilisateurs (développeurs, bureautique, design, ingénieurs…), certification de la qualité du matériel, critères à inscrire dans les appels d’offres, sécurité… Or, des solutions existent. Jean-Lionel LACCOURREYE, Président du SIRRMIET rappelle que « Le reconditionnement a le même niveau de sécurité que du neuf ». La qualité du reconditionnement est souvent remise en question. L’une des solutions trouvées par la SIRRMIET reste de faire signer une charte de qualités par ses entreprises de reconditionnement adhérentes.

Comment Interopérabilité, Open Data et Open Source peuvent-ils contribuer à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique ?

L’ouverture des données, des logiciels, l’interopérabilité des composantes software et hardware ont une importance indéniable dans la résilience et la sobriété du numérique. Cette conférence refait le point sur ses avantages et expose des pistes concrètes d’action.

Plusieurs projets open-source et sobres sont évoqués. L’un des cas s’appuie sur la communication interne des organisations où il est commun de « dupliquer les outils pour en faire les mêmes choses » évoque Hoang-Anh PHAN, Directrice Marketing & RSE chez Jalios. Repenser la communication digitale interne d’une organisation en misant sur l’interopérabilité de logiciels s’avérerait être une alternative plus sobre.

En terme d’open-source, la région Nouvelle-Aquitaine est l’une des régions pionnières en France. Un pôle dédié s’est formé, NAOS (Nouvelle-Aquitaine Open Source), où de nombreux projets sont menés : publication de ressources, ouverture de code, install parties (soirées d’installation de systèmes d’exploitation libres).

Les intervenants évoquent également le sujet de l’impact environnemental des langages de programmation. Agnès CREPET, Head of IT & Software Longevity à Fairphone explique que le débat est minime face à l’objectif du développement : « ce pourquoi on va coder est plus importante que le code en lui-même ». Richard HANNA, Chargé de mission interministérielle numérique écoresponsable à la Direction interministérielle du numérique (DINUM) affirme l’importance de se poser les bonnes questions : « est-ce qu’on a vraiment besoin de numériser ? », quelle est la pertinence « d’optimiser du code pour numériser l’extraction de pétrole avec une intelligence artificielle » ?

Cloud Computing et Edge Computing : comment optimiser l’impact environnemental du traitement des données ?

Entre le cloud computing visant à mutualiser des services et données stockées sur des datacenters et l’edge computing, visant à rapprocher les serveurs des utilisateurs, quelle est la solution la plus efficace pour réduire les impacts environnementaux liés au traitement des données ?

D’après les intervenants, on ne peut donner une réponse généraliste à cette question. La question serait plutôt « qu’est-ce que je vais déplacer en edge ? et en cloud ? » d’après Marc STURZEL, Consulting Partner Manufacturing Industry chez Kyndryl. C’est un réel « tri sélectif de la donnée ». Ce tri peut se mener sur des critères environnementaux mais aussi de sécurité. Pour des questions de sécurité, il est parfois plus intéressant pour une organisation de garder des données en localité. L’edge computing a aussi des qualités d’un point de vue du support et de la réparation. Selon Paola BRUCKER-DHONT, Directrice des relations gouvernementales et politiques pour la France à VMWare, « l’argument sécurité est complémentaire au critères eco, et ne sont pas opposés ». L’edge computing peut aussi vaincre le cloud grâce à son association avec des languages de programmation. Le C++, 75 fois moins énergivore que le python, pourrait faire la différence sur de l’edge computing sur les impacts d’une organisation.

Le choix du stockage va plutôt servir à minimiser l’impact environnemental de son organisation en influant sur les modes de fonctionnement. Néanmoins, que l’on choisisse le cloud ou l’edge – ou les deux – l’important reste d’y intégrer des indicateurs environnementaux et réduire leur empreinte. Selon Skander GUETARI, Director, Entreprise Cloud Architect chez Capgemini, « la co-construction de solutions plus durables est à mettre à l’honneur ». La labélisation du cloud provider mais aussi des serveurs pour l’edge computing facilite la communication des impacts. Pour l’edge computing, en pleine prolifération, Skander GUETARI conseille la rédaction d’une feuille de route NR pour son développement : « il est plus facile de concevoir de l’edge computing plus durable au démarrage ».

Comment sécuriser et faciliter la traçabilité de l'approvisionnement des équipements numériques ?

C’est la grande question dont les réponses peuvent avoir de réels impacts sur les enjeux environnementaux et sociaux d’une entreprise. Néanmoins, c’est l’une des plus complexes à répondre, tant la fabrication et l’approvisionnement d’appareils numériques requiert un mille-feuille d’acteurs dispersés aux quatre coins du monde

Malika KESSOUS, à la Direction des achats de l’Etat – MEFSIN explique les mesures mises en place pour les pouvoirs publics : « des règles claires sont inscrites sur les marchés publics demandant une traçabilité importante, notamment sur le social ». Depuis la loi antigaspillage de 2016, une traçabilité sociale des équipements informatiques achetés est faite au travers d’un questionnaire à remplir par les candidats des appels d’offres. Plus récemment en juin 2022, une association est faite avec Electronics Watch intégrant l’obligation des entreprises d’avoir un devoir de vigilance et un plan de suivi des conditions de travail de leurs salariés.

Le travail d’acteurs comme Electronics Watch est primordial pour faire avancer.  La fédération d’acheteurs publics s’appuie sur le travail des ONG dans 11 pays pour améliorer les conditions de travail des salariés de l’ensemble de la chaîne de fabrication des appareils. Elle va bientôt publier un classement des entreprises transparentes quant à ces conditions.

D’autres acteurs agissent pour une plus grande transparence dans ce milieu, notamment Fairphone. Avec un réel travail de terrain constant pour améliorer sa fabrication, l’entreprise est la plus avancée sur le sujet. D’après Agnès CREPET, Head of IT and Software Longevity chez Fairphone, il faudrait 3 à 7 ans pour comprendre les maillons de la chaîne pour un minerais et « comprendre comment se font les deals sur le terrain ». Toute organisation a un rôle clé dans l’évolution des pratiques. Agnès affirme : « la demande va changer les choses ». Elle évoque aussi l’importance du développement d’un ACV social (Analyse de Cycle de Vie).

Qu’en est-il de la traçabilité du recyclage ? Il reste aujourd’hui mauvais. Néanmoins la France va plus loin que les autres pays. Tess POZZI, Présidente de la filière DEEE de la Fédération Professionnelle des Entreprises du Recyclage explique : « on est certifié par des audits de performance de recyclage et de dépollution établis sur des normes européennes ». Des objectifs de recyclage fixés par l’Europe sont en revue depuis octobre et visent donc à être relevés. Les compagnies de recyclage ont également un devoir de vigilance car elles revendent les matériaux réutilisables aux entreprises du début de chaîne en Asie ou Afrique.

IT for Green : le numérique comme levier de la transition écologique de l’industrie et la consommation

Sujet des discours de la conférence d’ouverture, l’IT for Green a été évoqué dans cette table ronde. Pour les intervenants, l’IT for Green (l’utilisation du numérique pour aider aux enjeux environnementaux) et Green IT (écoconception du numérique) vont de pair. Pour Côme PERPERE, Directeur du Développement Durable chez Microsoft c’est « voir les deux phases de la même pièce, […] nuancer entre le techno-solutionniste et les adeptes du 3310 ». Microsoft tente de s’emparer du sujet. Pour l’entreprise, la mesure d’impact est fondamentale. Elle a mené des projets notamment sur les champs en Allemagne où le re-gel tuait une partie des récoltes.

Des capteurs permettaient de prédire l’intensité du gel attendu et ainsi comment placer les bougies de paraffine pour optimiser leur utilisation. Cependant, nous pouvons nous demander les rapports d’impacts entre des capteurs collectant et traitant des données 24h/24 versus une plus grande quantité de bougies en paraffine installées. Microsoft a été interpellé lors du temps d’échange au sujet de l’écoconception de ses services numériques et de ses appareils. On peut retenir un retard de l’entreprise sur ces sujets. Pas de réponse sur l’écoconception de leurs services, l’évocation d’une politique de support des OS (« un jeu fin entre durabilité et sécurité »). Côté hardware, Microsoft évoque une démarche de réparation et de recyclabilité.

Conclusion

Je n’ai malheureusement pas pu assister à la deuxième partie du GreenTech Forum, ce résumé n’aborde alors que la première journée de conférences. Cette deuxième édition démontre l’intérêt et l’avancée des acteurs francophones sur le numérique responsable.

Les conférences étaient accessibles à tous. Leur organisation sur cette thématique, émergente pour certains et déjà connue pour d’autres, est un jeu subtil entre sujet précis et accessible. Certaines conférences de la première journée pourraient aller plus en détail sur les démarches enclenchées par les organismes, les méthodes de calcul et les réglementations en vigueur. Les conférences et ateliers du vendredi ont conquis plus d’acteurs, notamment avec des interventions éclairantes de Boavizta.

L’hétérogénéité de la démarche NR des acteurs ouvre la voie à l’amélioration. L’attrait s’accroît, on le voit avec un doublement des visiteurs comparé à l’édition précédente. Cet événement et le regroupement de nombreux acteurs passionnés et engagés ont un potentiel certain sur ses prochaines éditions. Rendez-vous le 21 et 22 novembre 2023 au Beffroi de Montrouge pour la prochaine édition.

A propos de l'auteur

Alizée Colin

Fondatrice & rédactrice

UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.

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