Ce 30 novembre et 1er décembre ont marqué le lancement du GreenTech Forum, premier événement sur le numérique responsable. Retour sur deux jours de conférences, ateliers et rencontres avec les acteurs du secteur.
Quel rôle des pouvoirs publics dans le numérique responsable ?
Les positionnements de Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique et Barbara Pompili, ministre de la transition écologique
L’ouverture du GreenTech Forum s’est fait avec les mots de Barbara Pompilli et Cédric O. Leur intervention affirme le soutien de la France envers le secteur de la Green Tech et aussi, plus largement, le secteur du numérique responsable. Barbara Pompili a rappelé l’implication du ministère de la transition écologique sur les questions des impacts environnementaux du numérique : « la transition écologique et la transition numérique sont deux phases d’une même pièce : l’un ne va pas sans l’autre ». Elle a notamment cité l’indice de réparabilité qui sera étendu aux tablettes numériques ainsi qu’à d’autres appareils électroniques, début 2022.
Cédric O, quant à lui, a mis l’accent sur une collaboration entre entreprises françaises et européennes face aux géants que nous connaissons, pour faire contrepoids. Il a aussi souligné la priorité à « concentrer notre énergie sur les points les plus impactant du numérique ». On peut retenir une conscience des enjeux environnementaux et sociaux néanmoins avec un regard critique sur l’utilité de l’intervention du gouvernement sur certains points, préférant laisser le lead au secteur privé.
Les territoires, acteurs clés dans la démarche numérique responsable
Quelle est la place de nos territoires dans la transition vers un numérique responsable ? Réel soutien des entreprises dans leurs démarches, ils ont aussi la responsabilité de protéger et d’accompagner les citoyens pour réduire la facture numérique. La responsabilité des collectivités s’applique notamment lorsqu’elle produit des briefs auprès des entreprises locales. Prend-on en compte l’écoconception web ? La souveraineté des données ? L’accessibilité numérique ?
Les territoires sont le cœur du changement, mais au-delà d’une volonté forte d’une collectivité, le manque de compétence peut affaiblir les projets, comme le rappelle Louise Vialard, élue à l’e-citoyenneté, au numérique responsable et à l’Open data à Nantes Métropole : « On a beau avoir l’envie politique, si on n’a pas de personnes compétences, on a une difficulté à agir ».
Face à ces questions, Bertrand Keller, référent accessibilité pour la mise en conformité des démarches en ligne au ministère des Finances et de la Relance ouvre la discussion sur une mise en place d’un « pôle de compétences pour aider les gens et les structures pour accompagner vers une meilleure accessibilité des services publics locaux ». La responsabilité gouvernementale est mise en avant, notamment sur la question de la résilience des installations numériques des territoires face aux crises (exemple de la vallée de la Roya en tête).
Labélisation et certifications : comment avancer ?
La labélisation et la certification des services numériques ont été au centre des discussions. Pour le moment, aucune certification mise en place par un gouvernement n’existe sur le plan national, européen et international, rappelle Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT.fr.
Pour le moment, seuls des labels portés par des associations se présentent autour du numérique responsable et de l’écoconception web. Cependant, nous verrons dans le futur un « nutriscore des entreprises », un label public RSE, explique Jean-Paul Chapron, président de l’ASI.
Au-delà des labels et certifications, des référentiels sont présents afin d’aiguiller à la mise en place de bonnes pratiques. Marie-Elisabeth D‘ornano, Directrice Certification de l’Alliance Green IT (AGIT) rappelle également que « parfois l’écoconception ne peut pas s’appliquer de la même manière à toutes les entreprises ». C’est pourquoi la création de labels plus souples peut être bénéfique. Pour Fabienne, co-présidente du groupe ISIA, l’enjeu d’un label « c’est aussi d’avoir une feuille de route claire pour l’organisation et toutes ses équipes » dans sa démarche numérique responsable.
Écoconception web : un travail collectif
L’importance de mobiliser tous les pôles de l’entreprise
Le sujet grandissant du numérique responsable touche l’ensemble des collaborateurs d’une organisation. Les multiples intervenants se sont accordés sur l’importance d’avoir une stratégie environnementale qui touche à la fois les pôles RSE que DSI, en passant par la conception (UX, UI, développement), que marketing. Les organisations doivent collectivement s’emparer du sujet afin de limiter le renouvellement des terminaux. Comme l’évoque Marie Chevallier, consultante Numérique Responsable chez Greenspector : « En diminuant l’énergie qui est consommée à faire une tache, on encourage les utilisateurs à garder leur terminaux ».
Pour le moment, « il y a une méconnaissance de l’écoconception : cela ne s’attache pas qu’aux développeurs », rappelle Christophe Clouzeau, expert UX et écoconception numérique chez Temesis. La réflexion doit prendre racine bien en amont du projet en se posant les bonnes questions : « quel est le besoin et comment aller vers l’efficience ? ». Je garde en tête le terme de « green UX » qu’il cite, résumant bien cette démarche. Afin d’éviter tout greenwashing, Richard Hanna, chargé de mission Green Tech à la Direction interministérielle du Numérique (DINUM) rappelle l’importance de documenter la démarche.
Mesurer – comprendre – agir : la méthodologie preuve de confiance
L’un des points clés pour enclencher une démarche reste la mesure des impacts, à la fois environnementaux et sociaux. Pour comprendre où aller nous devons être capable de comprendre d’où l’on part. Après la phase de mesure des impacts des services numériques, n’oublions pas la phase d’action. Richard Hanna souligne que « mesurer pour mesurer ça ne sert à rien, il faut agir derrière ».
La démarche d’écoconception peut par la suite se référer aux évaluations faites en mettant en place des bonnes pratiques des référentiels existants et en formant ses équipes. Jérôme Lucas, co-fondateur de la startup Fruggr met l’accent sur les bénéfices transversaux du « faire mieux avec moins » : à la fois d’un point de vue business que pour l’expérience utilisateur et l’environnement.
Quels points ne pas oublier dans la démarche d’écoconception web ?
Christophe Clouzeau le résume : « on mesure, on met en pratique et on réitère ce cercle ». Dans la démarche d’écoconception, il n’y a jamais de point final. Une amélioration constante et continue est essentielle pour rester efficace, efficient et résilient. Un point essentiel à ne pas négliger reste la pluralité des indicateurs. Damien Marzlin, consultant et formateur en éco-conception des services numériques chez IT’s on us souligne l’importance de faire attention au transfert de pollution : « les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas le seul indicateur ». Pour cela, des référentiels généraux sont mis en place comme le RGESN (axé écoconception) et le RGAA (axé accessibilité), souligne Richard Hanna.
Mais l’écoconception ne s’arrête pas là. Il est aussi important de prioriser les enjeux environnementaux et sociaux dès le backlog que de penser à la fin de vie des fonctionnalités, rappelle Hilda Gameiro, directrice de Clientèle Secteur Public et Numérique Responsable de Capgemini Invent.
IA for Green et Green IA : quel cadre pour une intelligence artificielle plus responsable ?
IA for Green et Green IA : les enjeux
Une conférence a aussi abordé le coût environnemental (green IA) et les bénéfices (IA for green) de l’intelligence artificielle. Technologie gourmande en énergie et en ressources, peu de ses acteurs s’intéressent à en réduire les externalités négatives. Caroline Chopinaud, directrice associée du Hub France IA du Pôle Systematic, explique : « il n’y a pas encore cette culture de se soucier de l’environnement dans l’IA ». Et ceux qui en ont conscience « ne savent pas comment mesurer et agir ». C’est pourquoi la réflexion se tourne vers l’inclusion de l’IA dans les normes environnementales : « c’est un enjeu de prendre en compte l’IA dans ces normes car elle va être croissante ». Vincent De Montalivet, sustainable AI group offer leader chez Capgemini évoque l’existence d’un groupe de travail de l’INR sur l’IA responsable, à la fois sur les aspects environnementaux et d’éthique. La priorité pour améliorer les impacts de cette technologie reste « d’ouvrir et de partager les données pour avoir une base de référence sur les impacts des traitements ». Nous sommes encore aux balbutiements de cette réflexion, sa mise en place reste à faire : « Il n’y a pas de certification environnementale de l’IA car il manque cruellement les infos et les données pour décomposer ses impacts ».
Quelles pratiques pour une IA plus responsable ?
Côté pratique, tous s’accordent avec Thierry LEHNEBACH, Administrateur délégué, de l’Alliance du Bâtiment sur l’importance de l’open data et de l’application de bonnes pratiques pour une technologie plus frugale. Il existe une corrélation confirmée entre la précision de la technologie et sa consommation d’énergie. Plus une IA est précise, plus celle-ci consomme. Audrey Huvet, directrice marketing et partenariats de Devoteam Revolve introduit la sobriété de l’IA : « optimiser les ressources de l’IT, mutualiser les ressources (économies d’énergie, financière), éviter de faire des calculs non utiles… ».
L’objectif étant d’améliorer à la fois le coût carbone de la technologie et son bénéfice. Un exemple concret serait l’utilisation de l’IA dans la maintenance prédictive afin d’allonger la durée de vie des composants des terminaux.
Pour conclure
Ce rendez-vous marque le début, nous l’espérons, d’une longue série d’événements traitant des impacts du numériques et des solutions. De voir se réunir de nombreux acteurs du secteur ainsi que des entreprises souhaitant s’engager nous a tous amené de l’espoir. Un vrai écosystème accompagné par une dynamique est en place et ne demande qu’à s’étendre. Je souhaite remercier l’équipe de Formule Magique qui a organisé l’événement, et l’équipe de Planet Tech’ Care, dont l’événement est sous le haut patronage. et toute l’équipe d’organisation qui a permis à ce forum de voir le jour. Rendez-vous l’année prochaine, le 1er et 2 décembre 2022, pour continuer ces échanges.
La France est l’un des premiers pays à s’engager publiquement pour un numérique plus durable. Ce texte adopté est moins ambitieux que sa première ébauche, mais il a le mérite d’avoir été adopté. Nous espérons tous que de futurs textes plus contraignants voient le jour. Nous n’avons que peu de temps pour agir face au dérèglement climatique, alors nous devons avancer.
A propos de l'auteur
Alizée Colin
Fondatrice & rédactrice
UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.
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