Image de couverture : Tingey Injury Law Firm
Collectivités, entreprises privées, géants du numérique, particuliers… Le sujet du numérique responsable s’implante de plus en plus en France, mais qu’en dit la loi ? Quelles sont les obligations légales et quelles actions ont été initiées pour limiter l’empreinte du numérique en France ? Quelles lois européennes influencent le numérique chez nous ? Focus sur la législation autour du numérique responsable en France.

Le numérique responsable et la loi pour les géants du numérique

Marketplace, réseaux sociaux, moteurs de recherche… Une poignée d’entreprises privées influencent largement le numérique mondial. Ces instances majoritairement américaines sont développées en France et modèlent alors le numérique que nous utilisons chaque jour. Les risques sociétaux qu’elles induisent sont de plus en plus pointés du doigt et commencent à être régulés.

La législation sur les services numériques (DSA) :

L’Union Européenne veut prendre la place de précurseur dans cette régulation. C’est pourquoi elle a adopté en 2022 le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA).

La législation sur les services numériques (DSA) a été adoptée en octobre 2022 et doit entrer en application en 2023. Son objectif est de mettre en pratique le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Elle ambitionne de limiter les risques sociétaux liés aux pratiques des grandes plateformes numériques comme les réseaux sociaux, les grands moteurs de recherche et les marketplaces. Plusieurs grands axes sont inscrits :

  • Lutte contre les contenus illicites et la désinformation
  • Amplification de la transparence sur la modération et les algorithmes de recommandation des contenus
  • Multiplication des audits des géants du web sur les risques sociétaux systémiques qu’ils nourrissent

Chaque pays aura un représentant désigné au respect du DSA et à la récupération des plaintes des personnes physiques et morales à l’encontre des géants numériques.

Pour aller plus loin :
Le règlement européen sur les services numériques (DSA) vise une responsabilisation des plateformes

Le règlement sur les marchés numériques (DMA) :

Le DMA, adopté en juillet 2022 doit entrer en application en 2023. Il vise les géants numériques comme Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft (GAFAM) et d’autres. Elle englobe tous les géants du numérique ayant une forte influence sur les pratiques du marché et occupant une position « solide et durable » selon Vie Publique. Ces entreprises puissantes et influentes dans le numérique sont décrites comme des « contrôleurs d’accès à l’entrée d’internet », gatekeepers. L’objectif de ce règlement est de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles de ces entreprises et de corriger les déséquilibres de leur domination au sein de l’Europe (que ce soit des entreprises européennes ou non).

De nombreux points s’accumulent pour réguler leur influence. Ces entreprises devront dès 2023 :

  • rendre aussi facile le désabonnement que l’abonnement à un service de plateforme essentiel.
  • permettre de désinstaller facilement sur son téléphone, son ordinateur ou sa tablette des applications préinstallées.
  • rendre interopérables les fonctionnalités de base de leurs services de messagerie instantanée (Whatsapp, Facebook Messenger…) avec leurs concurrents plus modestes.
  • donner aux vendeurs l’accès à leurs données de performance marketing ou publicitaire sur leur plateforme.
  • informer la Commission européenne des acquisitions et fusions qu’ils réalisent.

Ces entreprises devront arrêter dès 2023 :

  • d’imposer les logiciels les plus importants (navigateur web, moteurs de recherche, assistants virtuels) par défaut à l’installation de leur système d’exploitation. Un écran multi-choix devra être proposé pour pouvoir opter pour un service concurrent.
  • favoriser leurs services et produits par rapport à ceux des vendeurs qui utilisent leur plateforme (auto-préférence) ou exploiter les données des vendeurs pour les concurrencer.
  • réutiliser les données personnelles d’un utilisateur à des fins de publicité ciblée, sans son consentement explicite.
  • imposer aux développeurs d’application certains services annexes (système de paiement par exemple).

Pour aller plus loin :

La loi anti gaspillage pour une économie circulaire

La loi anti gaspillage pour une économie circulaire a été votée début 2020. La mise en place de l’indice de réparabilité, acté dans cette loi, a été déployée en janvier 2021 sur plusieurs types d’équipements électriques : smartphones, ordinateurs portables téléviseurs, tondeuses à gazon et lave-linge. À partir de novembre 2022, quatre nouvelles catégories de produits (électroménagers) seront concernées.

Cette loi a plusieurs ambitions :

  • Informer le consommateur sur la facilité de réparation des appareils électriques mis en vente
  • Sensibiliser à l’obsolescence programmée
  • Inciter les fabricants d’appareils électroniques et électriques à concevoir des appareils plus facilement réparables.

Cet indice modifie en effet la façon dont les fabricants d’appareils électroniques conçoivent nos équipements. La conception de l’iPhone 14, dernière sortie d’Apple, a été remarquée par iFixit : « Apple a entièrement remanié l’intérieur de l’iPhone 14 pour en faciliter la réparation ! ». Est-ce l’indice de réparabilité français qui a titillé le géant à revoir sa copie ? Nous verrons l’évolution des appareils dans le futur.

La loi de 2020 tend aussi vers une sensibilisation du consommateur avec l’obligation pour les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et opérateurs mobiles d’informer les consommateurs de leurs émissions de gaz à effet de serre liées à leur consommation internet et mobile. Cette sensibilisation est en place depuis janvier 2022.

Pour aller plus loin :

Les changements pour les géants avec la loi REEN

Dans les géants numériques, on retrouve plusieurs fabricants d’appareils électroniques, smartphones et autres objets connectés. La loi REEN a été adoptée par le Sénat en novembre 2021.

Dans son texte, celle-ci élargit le délit de l’obsolescence programmée à l’obsolescence logicielle et encadre l’information du consommateur lors des mises à jour. En clair, le vendeur a l’obligation de donner toutes les informations nécessaires (stockage nécessaire, objectif de la mise à jour…) à l’utilisateur. Les vendeurs doivent également donner des informations et conseils d’entretien et de réparation des appareils à l’utilisateur tout au long de son cycle de vie, afin d’accentuer leurs performances.

Parmi ceux avec une position cruciale au sein du numérique, les FAI (fournisseurs de services de communication et de systèmes d’exploitation) ne sont pas en reste. Eux aussi doivent, depuis la loi REEN, rendre des comptes à l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en France. Pour la première année, l’Arcep a mené une enquête auprès des FAI françaises comme Orange, Free, SFR et Bouygues pour mesurer et suivre leur empreinte environnementale. Cette enquête ambitionne d’enrichir les statistiques sur l’empreinte environnementale du numérique. Le périmètre des prochaines enquêtes s’élargira à plus d’acteurs du numérique comme les fabricants d’appareils et les opérateurs de centres de données.

Pour aller plus loin :

Les directives « Batterie » et « RoHS » de l’Union Européenne

Autre point non-négligeable pour les fabricants d’appareils électroniques, les directives « Batterie » et « RoHS (Restriction of hazardous substances in electrical and electronic equipment)» fixent des règles afin d’assurer une meilleure conception des appareils. La directive RoHS fixe une concentration maximale dans nos appareils de plusieurs substances dangereuses : de 0,1% par unité de poids de matériau homogène pour le plomb, le mercure, un type de chrome, le PBB et PBDE. Cette limite est de 0,01% pour le cadmium.

Ces restrictions ne sont pas applicables sur les batteries, qui sont régulées par la directive « Batterie ». Le texte, datant de 2006, a été revu en 2022 avec des objectifs plus exigeants. Voici quelques points clés :

  • Établissement de quantités maximales de certains composants chimiques et métaux contenus dans les batteries ;
  • Encouragement de la part des Etats Membres à l’amélioration des performances environnementales des batteries ;
  • Obligation de la collecte, le recyclage et l’élimination des batteries usagées
  • Établissement des taux minimaux de collecte des batteries usagées ;
  • Définition des responsabilités financières relatives à ces programmes de collecte ;
  • Définition des règles encadrant l’étiquetage, le marquage, le contrôle et toute autre procédure administrative liée à la gestion des batteries.
  • Augmentation (décidée en 2022) du taux de récupération du Lithium dans les batteries.

Pour en savoir plus :

Le numérique responsable et la loi pour les entreprises privées

Le Réglement Général pour la Protection des Données (RGPD)

Pour l’instant, peu de mesures contraignantes incitant à un numérique plus responsable ne s’adressent aux entreprises privées. Cependant, en France, l’aspect éthique autour de la collecte, du stockage et du traitement des données un sujet déjà inscrit depuis plusieurs années.

Le RGPD (Règlement Général pour la Protection des Données) est entré en application le 25 mai 2018 et s’adresse à tout organisme privé ou publique collectant des données au sein de l’Union Européenne. Il s’ajoute à la loi française Informatique et Libertés de 1978, première pierre à l’édifice de la protection des données en France. Parfois difficile à comprendre, la CNIL évoque 4 bonnes pratiques clés dans le respect du RGPD :

  • constituez un registre de vos traitements de données
  • faîtes le tri dans vos données (ne collectez que les données vraiment nécessaires)
  • respectez le droit des personnes en matière de consultation, de rectification ou de suppression des données
  • sécurisez vos données

Pour aller plus loin:
Service.gouv : Le règlement général pour la protection des données, mode d’emploi

La directive EcoDesign

La directive européenne EcoDesign intervient aussi sur les entreprises privées en établissant des exigences d’écoconception applicables aux serveurs et tout produit de stockage de données et salles serveurs d’une entreprise privée. Afin de limiter leur impact environnemental, celle-ci fixe des règles liées à :

  • la présence de substances entravant la circularité;
  • l’efficacité dans l’utilisation de l’énergie et des ressources (efficacité des blocs d’alimentation, lorsque actif…)
  • la teneur en matériaux recyclés;
  • la disponibilité d’une fonctionnalité pour l’effacement sécurisé de données
  • La disponibilité de la dernière version disponible des micrologiciels.

Pour aller plus loin :
Commission Européenne : Serveurs et produits de stockage de données

Le numérique responsable et la loi pour l'éducation

La loi Reen a ouvert la discussion sur l’inclusion du numérique responsable au sein de l’éducation. Celle-ci prévoit l’ajout de formations dans les collèges et lycées une sensibilisation aux impacts environnementaux des outils numériques ainsi qu’à la sobriété numérique. Quant à l’enseignement supérieur, une incrémentation de cours à l’écoconception de services numériques ainsi qu’un volet sur la sobriété numérique sont attendus dans les formations d’ingénieurs.

Le numérique responsable et la loi pour les institutions publiques

Les institutions publiques ne sont pas en reste quant à la législation française autour du numérique responsable. En effet, celles-ci ont dorénavant des obligations et un rôle de recherche sur le sujet.

Côté recherche

Comme évoquée précédemment, la loi REEN a signé la mise en place d’un observatoire de l’empreinte environnementale du numérique en France. L’Arcep agrège les données partagées par les FAI mais une autre institution publique, l’Ademe, doit elle aussi quantifier des impacts environnementaux liés au numérique et les partager au sein de cet observatoire.

Côté recherche, la DINUM (Direction interministérielle du numérique) publie divers référentiels et guides de bonnes pratiques, cependant sans obligations légales.

En savoir plus :
1er rapport de l’Arcep sur l’empreinte environnementale du numérique en France
La mission interministérielle du numérique écoresponsable

Côté obligations

Depuis la loi REEN, les équipements informatiques de moins de 10 ans utilisés dans les services publics ainsi que les collectivités territoriales doivent obligatoirement être orientés vers le réemploi ou la réutilisation.

Aussi, elle prescrit aux communes et intercommunes de plus de 50 000 habitants de rédiger avant janvier 2025, une démarche numérique responsable visant à réduire les impacts environnementaux liés au numérique. Cette démarche sera évaluée chaque année. Avant l’élaboration de cette démarche, les communes doivent partager une première étape d’élaboration d’un programme de travail au plus tard en janvier 2023. Le gouvernement explique : « Ce programme comprend un bilan de l’impact environnemental du numérique et celui de ses usages sur le territoire concerné. Il décrit de plus, sous forme de synthèse, les actions déjà engagées pour l’atténuer le cas échéant. »

Pour les particuliers

Pas d’obligations pour les particuliers autour du numérique responsable. L’ensemble des législations vont plutôt en leur faveur, en les aidant dans leur choix et dans la protection de leurs données en ligne.

Comme évoqué pour les géants du numérique, l’indice de réparabilité est une avancée (certaine non-contraignante) informative quant aux impacts du numérique et des appareils que l’on achète. Smartphones, ordinateurs portables téléviseurs, tondeuses à gazon, électroménagers… Cet indice, qui tend à s’élargir, favorise une prise de conscience généralisée des enjeux environnementaux du numérique.

En conclusion

J’ai tenté de répertorier, à date, les différents textes légaux autour du numérique responsable. Malgré l’ambition d’en répertorier la majorité, je peux être passée à côté d’informations. N’hésitez pas à nourrir cet article en les évoquant en commentaires.

A propos de l'auteur

Alizée Colin

Fondatrice & rédactrice

UX/UI designeuse, j’aspire à recentrer le web et ses outils dans un objectif de bien commun, tant bien environnemental que social. Nous sommes dans une ère où nous nous devons de réinventer notre manière de concevoir et de communiquer. Le numérique responsable en fait partie. Changeons les choses.

Voir tous les articles